Dogue de Bordeaux

Standard FCI Nº 116

Origine
France
Groupe
Groupe 2 Chiens de type Pinscher et Schnauzer - Molossoïdes - Chiens de montagne et de bouvier suisse
Section
Section 2.1 Molossoïdes de type dogue
Epreuve
Sans épreuve de travail
Reconnaissance à titre définitif par la FCI
vendredi 01 janvier 1954
Publication du standard officiel en vigueur
mardi 04 novembre 2008
Dernière mise à jour
vendredi 23 janvier 2009
In English, this breed is said
Bordeaux Mastiff
Auf Deutsch, heißt diese Rasse
Bordeaux dogge
En español, esta raza se dice
Dogo de Burdeos
In het Nederlands, wordt dit ras gezegd
Bordeaux Dog

Utilisation

Garde, défense et dissuasion.

Bref aperçu historique

Le dogue de Bordeaux est l'un des chiens français les plus anciens, descendant probable des Alans et, en particulier, de l'alan vautre dont Gaston Phébus (ou Fébus) Comte de Foix dit, au XlVème siècle, dans son Livre de Chasse, qu'il "tient plus fort sa morsure que ne feraient trois lévriers". Le mot "dogue" apparaît à la fin du XIVème siècle. Au milieu du XIXème siècle, ces anciens dogues n'étaient guère renommés qu'en Aquitaine. On les utilisait à la chasse au gros gibier (sanglier), aux combats (souvent codifiés), à la garde des maisons et du bétail, au service des bouchers. En 1863 eut lieu à Paris, au Jardin d'Acclimatation, la 1ère exposition canine française. Les dogues de Bordeaux figuraient sous leur nom actuel. Il a existé différents types : type toulousain, type parisien, type bordelais, à l'origine du dogue actuel. La race qui avait beaucoup souffert pendant les deux guerres mondiales, au point d'être menacée d'extinction après la guerre de 1939-1945, reprit son essor dans les années 1960.
1er standard ("caractère des vrais dogues") in Pierre Mégnin, Le Dogue de Bordeaux, 1896.
2ème standard in J. Kunstler, Etude critique du Dogue de Bordeaux, 1910.
3ème standard par Raymond Triquet, avec la collaboration du Docteur Vétérinaire Maurice Luquet, 1971.
4ème standard reformulé selon le modèle de Jérusalem (F.C.I.) par Raymond Triquet avec la collaboration de PhiIippe Sérouil, Président, et du Comité de la Société des Amateurs de Dogues de Bordeaux, 1993.
Standard précisé en 2007 par Raymond Triquet (Président d’honneur de la SADB), Sylviane Tompousky (Présidente de la SADB) et Philippe Sérouil (membre du Comité de la SADB).

Aspect général

Typiquement un molossoïde brachycéphale concaviligne. Le Dogue de Bordeaux est un chien très puissant, dont le corps très musclé conserve un ensemble harmonieux. Il est construit plutôt près de terre, c’est à dire que la distance sternum-sol est légèrement inférieure à la hauteur de la poitrine.
Trapu, athlétique, imposant, il a un aspect dissuasif.

Proportions importantes

La longueur du corps, de la pointe de l'épaule à la pointe de la fesse, est supérieure à la hauteur au garrot dans la proportion de 11/10.
La hauteur de la poitrine est supérieure à la moitié de la hauteur au garrot.
La longueur maximale du chanfrein est égale au tiers de la longueur de. la tête.
La longueur minimale du chanfrein est égale au quart de la longueur de la tête.
Chez le mâle, le périmètre céphalique correspond à peu près à la hauteur au garrot.

Comportement / caractère

Ancien chien de combat, le dogue de Bordeaux est doué pour la garde qu'il assume avec vigilance et un grand courage mais sans agressivité. Bon compagnon, il est très attaché à son maître et très affectueux. Calme, équilibré avec seuil de réponse (réaction) élevé. Le mâle a un caractère généralement dominant.

Tête

Région crânienne

Tête
Volumineuse, anguleuse, large, assez courte, trapézoïdale quand elle est vue de face et de dessus. Les axes longitudinaux du crâne et du chanfrein sont convergents (vers l’avant). La tête est sillonnée de rides symétriques de chaque côté du sillon médian. Ces rides profondes et tourmentées sont mobiles selon que le chien est attentif ou non. La ride qui va de la commissure interne de l’œil à la commissure des lèvres est typique. La ride allant de la commissure externe de l’œil à la commissure des lèvres ou vers le fanon, si elle est présente, doit rester discrète.
Crâne
Chez le mâle : le périmètre du crâne, pris au niveau de la plus grande largeur, correspond à peu près à la hauteur au garrot. Chez la femelle : il peut être légèrement inférieur.
Son volume et sa forme sont les conséquences du développement très important des temporaux, des arcades sus-orbitaires, des arcades zygomatiques et de l’écartement des branches du maxillaire inférieur. La région supérieure du crâne est légèrement convexe d’un côté à l’autre.
Dépression frontale profonde s’atténuant vers l’extrémité postérieure de la tête. Le front domine la face mais ne la surplombe pas. Il est pourtant encore plus large que haut. 
Stop
Très accusé formant avec le chanfrein un angle presque droit (95 à 100°).

Région faciale

Truffe
Large, aux narines bien ouvertes, bien pigmentée selon la couleur du masque ; truffe remouchée (retroussée) admise mais pas renfoncée vers les yeux.
Museau
Puissant, large, épais, mais non empâté sous les yeux, assez court, profil supérieur très légèrement concave, aux plis sobrement indiqués. Sa largeur diminuant à peine jusqu’au bout du museau, il a, vu de dessus, la forme générale d’un carré. Par rapport à la région supérieure du crâne, la ligne du chanfrein forme un angle très obtus ouvert vers le haut. Lorsque la tête est horizontale, le bout du museau tronqué, épais et large à la base se trouve en avant d’une verticale tangente à la face antérieure de la truffe. Son périmètre approche les deux tiers de celui de la tête. Sa longueur se situe entre le quart et le tiers de la longueur totale de la tête, de la truffe à l’occiput. Les limites supérieure (du tiers) et inférieure (du quart de la longueur de la tête) sont admises mais non recherchées, la longueur idéale du museau se situant entre ces extrêmes.
Lèvres
Lèvre supérieure épaisse, modérément pendante, rétractile. Vue de profil elle présente une ligne inférieure arrondie. Elle recouvre la mâchoire inférieure sur les côtés. A l’avant le bord de la lèvre supérieure est en contact avec la lèvre inférieure, puis descend de chaque côté en formant en V renversé évasé.
Mâchoires et dents
Mâchoires : Très puissantes, larges. Le chien est prognathe inférieur (le prognathisme est un caractère racial). La face postérieure des incisives inférieures est en avant et non au contact de la face antérieure des incisives supérieures. La mâchoire inférieure s’incurve vers le haut. Le menton est bien marqué et ne doit ni dépasser exagérément la lèvre supérieure ni être recouvert par elle.
Dents : Fortes, en particulier les canines. Canines inférieures écartées et légèrement recourbées. Incisives bien alignées surtout à la mâchoire inférieure où elles forment une ligne apparemment droite.
Joues
Saillantes par suite d’un très fort développement musculaire.
Yeux
Ovales, largement espacés. L’espace entre les angles internes des paupières équivaut à environ deux fois la longueur de l’œil (ouverture palpébrale). Regard franc. La conjonctive ne doit pas être apparente. Couleur noisette à brun foncé pour les dogues à masque noir, couleur moins foncée tolérée mais non recherchée chez les sujets à masque marron ou sans masque.
Oreilles
Relativement petites, de couleur un peu plus foncée que la robe. A leur attache, la base antérieure est légèrement relevée. Elles doivent retomber, mais non pendre mollement, le bord antérieur étant contre la joue quand le chien est attentif. L’extrémité inférieure est légèrement arrondie ; elle ne doit pas pouvoir dépasser l’œil. Elles sont attachées assez haut, au niveau de la ligne supérieure du crâne dont elles semblent encore accentuer la largeur.

Cou

Très fort, musclé, presque cylindrique. Sa peau est ample, lâche et souple. Sa circonférence moyenne égale presque celle de la tête. Il est séparé de la tête par un sillon transversal peu accentué, légèrement courbe. Son profil supérieur est légèrement convexe. Le fanon, bien marqué, débute au niveau de la gorge formant des plis jusqu’au poitrail sans pendre exagérément. Le cou, très large à la base se fond sans heurt avec les épaules.

Corps

Ligne du dessus
Bien soutenue.
Garrot
Bien marqué.
Dos
Large et musclé.
Rein
Large, assez court et solide.
Croupe
Modérément oblique jusqu’à la naissance de la queue.
Poitrine
Puissante, longue, haute et large, descendant plus bas que le coude ; poitrail large et puissant dont la ligne inférieure (inter-ars) est convexe vers le bas. Côtes bien descendues et bien cintrées mais pas en tonneau. La circonférence de la poitrine doit être de 25 cm à 35 cm supérieure à la hauteur au garrot.
Ligne du dessous
Ligne harpée, de la poitrine bien descendue au ventre assez relevé et ferme, ni tombant ni levretté.

Queue

Très épaisse à la racine. Sa pointe atteint de préférence le jarret sans le dépasser. Portée bas, elle n’est ni cassée ni nouée mais souple.
Tombante au repos, elle se relève en général de 90 à 120 ° par rapport à cette position, lorsque le chien est en action, sans s’incurver sur le dos ni s’enrouler.

Membres

Membres antérieurs

Généralités
Ossature forte, membres très musclés.
Epaules
Puissante, aux muscles saillants. Obliquité de l’omoplate moyenne (45° environ sur l’horizontale), angle de l’articulation scapulo-humérale : un peu plus de 90 °.
Bras
Très musclé.
Coudes
Dans l’axe du corps, ni trop serrés contre la paroi thoracique ni en dehors.
Avant-bras
Vus de face, droits ou un peu inclinés de dehors en dedans de façon à se rapprocher légèrement du plan médian, surtout chez les chiens à très large poitrine. Vus de profil, verticaux.
Métacarpe
Région métacarpienne puissante. De profil, légèrement inclinée. Vue de face parfois légèrement en dehors pour compenser la légère inclinaison de l’avant-bras vers l’intérieur.
Pieds antérieurs
Forts, doigts serrés, ongles courbes et forts, coussinets bien développés et souples ; le dogue est bien digitigrade malgré son poids.

Membres postérieurs

Généralités
Membres robustes avec forte ossature, bien angulés. Vus de derrière : les postérieurs bien parallèles et verticaux donnent une impression de puissance bien que l’arrière-main soit légèrement moins large que l’avant main.
Cuisses
Très développée et épaisse, aux muscles apparents.
Grassets
Dans un plan parallèle au plan médian ou très légèrement en dehors.
Jambes
Relativement courte, musclée, descendant bas.
Jarret
Court, nerveux, angle du jarret modérément ouvert.
Métatarse
Robuste, absence d’ergot.
Pieds postérieurs
Un peu plus longs que les antérieurs, doigts serrés.

Allures

Assez souples pour un molosse. Au pas, mouvement ample et souple au ras du sol. Bonne poussée des postérieurs, bonne amplitude des mouvements des antérieurs, surtout au trot, qui est l’allure préférée. Quand le trot s’accélère, la tête a tendance à se baisser, le dessus à s’incliner vers l’avant, les pieds antérieurs à se rapprocher du plan médian en allant chercher la terre loin devant. Petit galop avec déplacement vertical assez important. Capable de grande vitesse en déboulant au ras du sol sur de courtes distances.

Peau

Epaisse et suffisamment ample, sans excès de rides.

Robe

Qualité du poil
Fin, court et doux au toucher.
Couleur du poil
Unicolore, dans toute la gamme du fauve, de l’acajou à l’isabelle. On recherche une bonne pigmentation. Les taches blanches peu étendues sont admises au poitrail et à l’extrémité des membres.
Masque noir : Le masque est souvent assez peu étendu et ne doit pas envahir la région crânienne. Il peut être accompagné de légères charbonnures sur le crâne, les oreilles, le cou, et le dessus du corps. La truffe est noire.
Masque marron (anciennement dit rouge ou bistre): La truffe est marron, le bord des paupières est également marron ainsi que le bord des lèvres. Il peut être accompagné de charbonnures marron non envahissantes, chaque poil comporte une zone fauve ou sable et une zone marron ; les parties déclives sont alors plus claires.
Sans masque : Le poil est fauve ; la peau apparaît rouge (également appelé jadis « masque rouge »). La truffe peut alors être rougeâtre.

Taille et poids

Hauteur au garrot
Taille devant correspondre à peu près au périmètre céphalique
Hauteur au garrot : Mâle 60 à 68 cm au garrot, femelle 58 à 66 cm au garrot.
On tolérera 1 cm en moins et 2 cm en plus.
Poids
Mâle 50 kg au moins, femelle 45 kg au moins avec caractères identiques à ceux des mâles mais moins accusés.

Défauts

• Tout écart par rapport à ce qui précède doit être considéré comme un défaut qui sera pénalisé en fonction de sa gravité et de ses conséquences sur la santé et le bien-être du chien et sa capacité à accomplir son travail traditionnel.
• Les défauts doivent être listés en fonction de leur gravité.

Défauts graves

 Tête disproportionnée (trop petite ou exagérément volumineuse).
 Hypertype bouledogué : crâne plat, chanfrein mesurant moins du quart de la longueur totale de la tête, ride boursoufflée derrière la truffe.
 Repli important entourant la tête.
 Déviation latérale importante de la mandibule.
 Incisives visibles de façon constante, la gueule étant fermée.
 Incisives très petites implantées de façon irrégulière.
 Dos voussé (convexe).
 Queue présentant des vertèbres soudées mais non déviée.
 Pieds antérieurs tournés en dedans, même légèrement.
 Pieds antérieurs exagérément tournés en dehors.
 Cuisses plates.
 Angle du jarret trop ouvert (angulation droite).
 Angles trop fermés, chien sous lui du derrière.
 Jarrets de vache, jarrets en tonneau.
 Allure béquillarde ou roulis important à l’arrière.
 Essoufflement excessif, respiration rauque.
 Blanc à l’extrémité de la queue ou sur la région antérieure des membres, au dessus du carpe et du tarse  ou blanc couvrant sans interruption l’avant du tronc, du poitrail à la gorge.

Défauts entrainant l’exclusion

 Chien agressif ou peureux.
 Tête longue et étroite au stop peu accentué, au chanfrein mesurant plus du tiers de la longueur totale de la tête (manque de type en tête).
 Chanfrein parallèle à la ligne supérieure du crâne ou descendant, chanfrein busqué.
 Torsion de la mâchoire.
 Dogue non prognathe inférieur.
 Canines visibles de façon constante, la gueule étant fermée.
 Langue sortant de façon constante la gueule étant fermée.
 Yeux bleus, yeux exorbités.
 Queue à la fois nouée et déviée latéralement ou tordue (en tire-bouchon).
 Queue atrophiée.
 Avant-bras tors avec région métacarpienne très affaissée.
 Angle du jarret ouvert vers l’arrière (tarse dévié vers l’avant).
 Blanc en tête ou sur le corps, autre couleur de robe que le fauve (charbonné ou non) et en particulier robe bringée et robe uniformément marron dite « chocolat » (chaque poil est alors entièrement marron).
 Tare invalidante repérable.

NB :

• Tout chien présentant de façon évidente des anomalies d'ordre physique ou comportemental sera disqualifié.
• Les défauts mentionnés ci-dessus, lorsqu'ils surviennent à un degré très marqué ou fréquent, sont éliminatoires.
• Les mâles doivent avoir deux testicules d'aspect normal complètement descendus dans le scrotum.
• Seuls les chiens sains et capables d’accomplir les fonctions pour lesquelles ils ont été sélectionnés, et dont la morphologie est typique de la race, peuvent être utilisés pour la reproduction.

Bibliographie

http://www.fci.be/

Historique détaillé

Le Dogue de Bordeaux, dont l'histoire, comme celle de tous les Dogues, remonte à la nuit des temps, a eu l'incomparable privilège d'être reconnu par les instances cynophiles du siècle dernier comme le Dogue français le plus important. Selon le très célèbre vétérinaire Pierre Mégnin, le Dogue de Bordeaux serait issu des Alans (également appelés Allants), ces puissants molossoïdes qui accompagnèrent les Alains, une peuplade d'origine indo-européenne installée entre l'Oural et le Caucase, lorsque, poussé par les Huns, ils déferlèrent sur les terres de l'Empire romain, jusqu'en Gaule et en Espagne. Les Alains disparurent au Ve siècle, mais, en Aquitaine et dans le nord de l'Espagne, leurs célèbres Molosses croisés avec des chiens autochtones aux caractéristiques assez voisines (on en a retrouvé des ossements datant de la préhistoire), auraient respectivement donné naissance au Dogue de Bordeaux et au Dogue de Burgos (lequel fut représenté en Espagne à partir du Moyen Age). C'est également la thèse que défendit l'éminent professeur Kunstler, qui enseignait l'anatomie comparée à l'université de Bordeaux.

Utilisés essentiellement comme chiens de combat, les Dogues d'Aquitaine ; ils ne seront appelés Dogues de Bordeaux qu'au XlXe siècle ; attaquaient en meute, et de façon efficace, semble-t-il, puisque, au XIIe siècle, ils contribuèrent pour une large part à la déroute des troupes anglaises. Ce n'est que bien plus tard, au XVIIIe siècle, que l'on retrouve trace du Dogue d'Aquitaine, et ce, comme le note le docteur Maurice Luquet dans son ouvrage Dogues et Bouledogues, sous le pinceau du célèbre peintre animalier Jean-Baptiste Oudry qui le fait figurer dans deux de ses œuvres. Quant à Buffon, il en fait également mention dans son Histoire naturelle.

Toujours est-il, et c'est un cas quasi général dans l'histoire de la gent canine, que ce n'est qu'au XIXe siècle que la race se vit reconnaître une identité bien spécifique. En 1863, en effet, eut lieu au jardin d'Acclimatation, à Paris, la première exposition canine. Si, dans l'esprit des cynologues d'alors, il s'agissait non pas de juger les chiens les uns par rapport aux autres, mais plutôt de dresser un inventaire aussi complet que possible des races existant en cette seconde moitié du XIXe siècle, cette exposition n'en permit pas moins au Dogue d'Aquitaine de conquérir ses lettres de noblesse auprès d'un public venu nombreux. S'imposant vite face aux autres Dogues d'origine française grâce à ses évidentes particularités, notamment dans le type, le Dogue d'Aquitaine, que l'on commença à appeler Dogue de Bordeaux, polarisa toute l'attention des éleveurs qui, pendant près de trente ans, allaient s'affronter pour façonner l'avenir de cette race si singulière. Ces querelles, qui portaient naturellement sur les caractères précis à attribuer définitivement au Dogue de Bordeaux, notamment sur sa taille, sa conformation, la forme et la longueur de son museau, mais également sur la couleur de son masque, l'existence du prognathisme et l'importance à lui donner, enfin sur la couleur de sa robe, n'eurent d'autres conséquences que de retarder la fixation de la race. En 1880, après que certains éleveurs, sans connaissances précises sur l'animal, eurent enrichi le Dogue de Bordeaux d'un apport de sang de Mastiff, Pierre Mégnin et, avec lui, le marquis de Cherville alertèrent le comité de la Société centrale canine pour que l'on mette fin à ces retrempes opérées sans discernement et qui risquaient de dénaturer à tout jamais la race, et pour que l'on s'attache enfin à mettre au point un standard digne de ce nom. L'action de ces deux cynologues éclairés ne fut pas sans résultat, puisque l'un des premiers actes du comité, comme le note non sans humour le docteur Luquet, fut de « renvoyer à leurs chères études ces juges, pour la plupart britanniques et néerlandais, n'ayant jamais vu ni étudié cette race et qui connaissaient certainement mieux les recettes de confection de cocktails que les pedigrees des races qu'ils jugeaient ».

Quoi qu'il en soit, aucun standard n'avait encore été rédigé en 1910, et l'on se trouvait toujours dans l'incapacité de donner au Dogue de Bordeaux des critères morphologiques précis, les spécialistes hésitant notamment entre le masque rouge et le noir. Quant à la taille, au poids et au type de tête, ils étaient tellement divers que l'on commença ni plus ni moins à distinguer trois types de chiens : le Bordelais, le Toulousain et le Parisien (certains spécimens étant en effet implantés en Ile de France).

Le professeur Kunstler publia alors une étude très approfondie sur la race, Prolégomènes pour servir à l'établissement du standard du Dogue de Bordeaux, qui, si elle n'avait pas été présentée à un Club français du Dogue de Bordeaux dont les membres s'affrontaient en querelles stériles, aurait eu toutes les chances de clarifier les choses une bonne fois pour toutes. Ce club fut dissous, et de ses cendres naquirent deux autres clubs en 1913 : la Société centrale du Dogue de Bordeaux et le Club bordelais du Dogue de Bordeaux. D'âpres discussions opposèrent encore Paul Mégnin et le professeur Kunstler, le premier affirmant que le Dogue de Bordeaux devait présenter une mâchoire normale, le second, qui faisait référence aux pratiques des éleveurs de la région Aquitaine, se montrant, lui, un fervent partisan du prognathisme. Il fallut attendre 1926 pour que les deux clubs se mettent enfin d'accord. Un standard put ainsi être rédigé, ses auteurs prenant soin de ménager les susceptibilités de chacun, en admettant dorénavant l'existence de deux masques, le rouge et le noir.

Les Dogues de Bordeaux souffrirent terriblement des deux guerres mondiales. Nombre d'éleveurs ou bien s'étaient dispersés, ou bien avaient quasiment disparu ; et, en 1966, le seul club existant ne comptait plus qu'une dizaine de membres. En 1970, toutefois, la publication, sous la houlette de Raymond Triquet et avec la collaboration du docteur Luquet, d'un standard plus complet et surtout plus précis que celui élaboré à la fin des années vingt permit à la race d'être définitivement reconnue par la Fédération cynologique internationale.

Depuis 1972, la Société des amateurs de Dogues de Bordeaux a pour tâche de développer la race en France ; fort heureusement après une période d'après-guerre particulièrement difficile, on peut considérer que le Dogue de Bordeaux y est maintenant bien établi : de façon logique, dans le Sud-Ouest, mais également en Provence, dans la région parisienne, dans l'Est et dans le Nord; et on peut estimer le cheptel à environ deux mille sujets, ce qui est plus qu'honorable. La race est également implantée en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse, en Espagne et sur les continents américain, africain et asiatique.

L'aspect rébarbatif et le lourd passé de ce chien de combat peuvent laisser croire que le Dogue de Bordeaux est un animal redoutable. Il n'en est rien. Tous les propriétaires s'accordent même à dire que ces Dogues sont avant tout des chiens fort amicaux, doux, qui n'aspirent qu'à une chose: se trouver près, très près, de leur maître. Avec les enfants, tout particulièrement, ce molosse de plus de 50 kilos ne fait preuve d'aucune agressivité; bien au contraire, il joue à leur égard le rôle de protecteur, avec une bonhommie qui, vu son gabarit, pourrait paraître quelque peu paradoxale.

Toutefois, pour être certain d'avoir avec soi un chien bien équilibré, c'est-à-dire de toute confiance, il convient de l'éduquer dès son plus jeune âge. C'est la condition sine qua non pour faire de lui à la fois un gardien hors pair et un véritable compagnon, qui s'intégrera au sein du milieu familial. Le Dogue de Bordeaux supporterait en effet difficilement d'être laissé attaché toute la journée à l'extérieur de la maison. Bien sûr, son dressage ne doit passer par aucune forme de coercition. La force et la brutalité, sous prétexte que l'on se trouve face à un animal doté d'une puissance hors du commun, n'aboutiraient qu'aux résultats contraires. Certes, il faut savoir s'imposer face au chiot dès qu'il a l'âge de quatre ou cinq mois, mais toujours avec justice. Le maître saura être chaleureux, caresser son chien, le flatter même, s'il a bien répondu à un commandement.

Bien évidemment, que les ancêtres du Dogue de Bordeaux aient été chiens de combat ne veut pas dire qu'ils aient été des animaux sans grande intelligence. Ce Dogue, si l'on sait s'y prendre, comprend très bien ce que l'on attend de lui. Bien dressé, il réagit à la moindre parole exprimée par son maître, et se montre parfois aussi pressé d'obéir que certains chiens de chasse. Le Dogue de Bordeaux est naturellement apte à la garde ; même si certains spécimens, parce que leur maître a souhaité qu'il en soit ainsi, accueillent l'étranger dans la plus parfaite indifférence. En outre, avec un dressage approprié, il est tout à fait efficace comme chien de défense. Même des détonations ne suffisent pas à l'impressionner, comme en témoignait un imprimeur du Bordelais, Barès, au début du siècle.

Pour ce qui est des dépenses nécessitées par son alimentation, il est vrai qu'elles peuvent rebuter plus d'un acquéreur potentiel. Car il est tout aussi certain que, au cours de ses deux premières années, ce chien a des besoins carnés très nettement supérieurs à la moyenne, ce qui n'a rien de bien étonnant au vu de son gabarit. Cela étant, il faut savoir que cet effort est indispensable pour éviter toute insuffisance de son squelette. La race, impressionnante par bien des aspects, peut en effet se révéler de santé fragile. Les Dogues de Bordeaux, fort tragiquement d'ailleurs, vivent un peu moins vieux que la moyenne de leurs congénères, peut-être précisément en raison de leur caractère massif. Il n'empêche, ce Dogue, pour les quelque deux mille familles françaises qui l'ont accueilli, est un bien précieux et attachant compagnon.