![]() |
Ce soir, Piotr est parti...de la part de Ranton. Mars 2000. |
![]() |
- Petit Piotr... - Qui donc dites-vous ? - Petit Piotr... Piotr Illich... - Et qui est Piotr Illich ? Piotr Illich est tout petit et tient dans le creux de ma main; Piotr Illich n’est rien; n’a jamais été que rien. Et pourtant, Piotr Illich... Piotr Illich Tchaïkovski ? Mais oui, Piotr Illich, Petit Piotr, comme sont Pizzicato, Prima Donna, Pipistrella, et aussi Oberon, Ô Freund, Pogorelitch dit Pogo... Si différent, pourtant, puisque rien... Prenez Pizzicato par exemple : Pizzicato menu, léger, fin, nerveux, dansant, aérien, rapide, affairé, perché, vif, envolé, bondissant, sautant, cabriolant, entrechats, pirouette, fusée, étincelle, flamme, poursuite, presto, vif argent, toupie. Ne vous fatiguez pas à chercher le contraire de Pizzicato, ce n’est pas ainsi que vous aurez l’image de Petit Piotr. Petit Piotr n’est pas le négatif de Pizzicato. Petit Piotr n’est rien... Prenez Prima Donna alors: noire et noire, finesse, fourrure, parure, volte-face, élégante, aguicheuse, insaisissable, inclassable, assurée, altière, autoritaire, dédaigneuse, hautaine, charmeuse, capricieuse, invivable, inoubliable, orgueilleuse... Piotr Illich n’a rien à voir avec Prima Donna... Prima Donna la bien nommée... Piotr Illich se nomme Piotr Illich, Petit Piotr depuis huit jours... Piotr Illich n’a presque pas porté son nom. C’est normal: Piotr Illich n’est rien. Pipistrella peut-être ? ... Duvet léger, peau de pêche, blonde et rose, attentive, souple, aimante, soyeuse, chaude, charmante, palpitante, délicieuse, douceur, tendresse, émotion, discrétion, porte-bonheur, secret, rêverie, caresse, plénitude... Piotr Illich n’est certes pas le vampire de Pipistrella... Rien, ce n’est rien, rien d’autre que rien, l’absence, l’inexistence... Pourtant, on l’a baptisé : Piotr Illich. S’il a un nom, c’est bien qu’il EST. Il n’est pas Oberon, c’est vrai. Oberon, Bébé Rond... Son diminutif sied à Oberon, tout rond, tout moelleux, mou, tendre. D’un bout à l’autre, tout est courbes chez Oberon, chacun des bouts pour commencer; tête ronde, face ronde, yeux ronds, nez rond, double menton; puis ventre rond, cuisses rondes et gros derrière, globe de peluche, melon bien mur, pamplemousse charnu... Assurément, Piotr Illich ne peut-être comparé à Oberon, tout de pâte de guimauve, qui épouse la forme de vos mains et de vos bras. Ô Freud ne fait pas mieux l’affaire. Ô Freud... Un nom fait pour elle; elle est joie, Ô Freud. Tout en elle est joie, gaieté, bonne humeur, vie... Elle vous regarde de ses gros yeux de grenouille, des yeux d’ambre et de suie qu’on dirait pédonculés tant ils sont proéminents, des yeux orientables en tous sens, en longitude comme en latitude, des yeux comme projetés avec leur bonheur, le bonheur que vous ressentez quand ce regard se pose sur vous... Piotr Illich est bien loin de tout ce bonheur; son regard n’est ni d’or ni de miel... Passons à Pogo, notre dernière chance... Pogo, enfant gâté, nuit d’encre, diablotin, djinn farceur dont la queue serrée semble un grelot sans cesse agité... Pogo ventru, ronfleur, petit dernier, nain charmant, jouet mécanique sur coussinets molletonnés et amortisseurs hydrauliques, tout garni de tortillons et de ressorts qui le rendent intenable, insaisissable... Oh! Piotr, Piotr, Piotr... Pizzicato, Prima Donna, Pipistrella, chiens chinois fantastiques aux origines aussi lointaines qu’assurées, parents, grands-parents, frères, cousins, noblesse de race, cercle bien fermé sur lui-même, sans bâtard ni manant. Loin de nous la roture: admirez l’élégance de notre corps menu et levretté, le maintient altier de notre tête, notre col de cygne, notre museau ciselé à la truffe de jais, nos yeux d’onyx mobiles qui fendent nos rêves et les vôtres comme des amandes; voyez la finesse de nos pattes interminables et nerveuses; remarquez le port flexible de notre longue queue élégante; enviez notre peau chaude et nue, douce comme la joue d’un fruit mûr... Chiens précieux, chiens de luxe, chiens de soie, de cachemire, de fourrures... Chiens qu’on aime, chiens qu’on gâte... Oberon, Ô Freud, Pogorélitch, carlins de race, généalogie complexe, ancêtres prestigieux, noms à particules multiples; carlins de peluche, pelage velouté, noir de nuit sans lune ou soleil d’abricot et de sable chaud; carlins complices, amour et volupté; gentils dragons, attentifs et protecteurs... Carlins de chaleur et de cœur... Piotr, Piotr Illich, où es-tu ? Où es-tu donc ? Petit Piotr, fugue de chien chinois, rencontre insolite, Ô accident de carrefour comme on dit, amour de carlin, union furtive... Chaleur de chienne et mâle en rut... Piotr, c’est toi qui es né, qui n’aurait pas du être... Piotr, dont aucun livre des origines ne portera jamais la trace, Piotr qui n’existe pas. Piotr qui survit, Piotr qui vit, si fragile, si petit, si petit sous sa lampe rouge... Piotr aux grandes oreilles bien droites, translucides, transparentes presque... Piotr aux pupilles en interrogation; Piotr tout nu, vraiment tout nu, sans un duvet: rien que de chaque côté du museau court, trois rangées bien droites de poils raides, recourbés comme des cils, on peut les compter; et puis, la queue, longue, mince, et tout à l’extrémité de la queue, un fin pinceau souple comme un pinceau de miniaturiste... Piotr à la peau opaline, ventre mouvant, palpitant, sexe minuscule collé contre lui, bourses bien formées, délicates, chacune pleine d’un grain de caviar... Piotr, qui ne pèse que le poids de ce qu’il vient de grignoter, Piotr, si menu qu’à chaque respiration, on croit voir bouger tous ses os. Piotr, quelques carats de rien qui trottinent et se pressent à votre rencontre quand vous arrivez. Piotr qui s’endort au creux de votre clavicule et qui ne pèse plus, alors, que son souffle. Piotr qu’un jour on appelle Piotr Illich, un jour de février 2000... Piotr qui veut grandir, vivre; Piotr qui va se battre; Piotr qui va souffrir, Piotr qui va mourir... PIOTR, Piotr, Petit Piotr, Petit Rat... Ton corps est toujours chaud, mais si mou, soudain, maintenant que tu m’as offert le dernier souffle que tu gardais encore par de vers toi... Piotr, tu dormiras près de Norma, près de ceux que j’aimais, sous l’herbe rase du coteau de granit, au Moulin Perdu. Piotr, le petit chien de rien, qui n’était rien, petit chien qui attendait, chien du rêve, joli lutin de mes souvenirs tristes. Piotr, le RIEN de la mémoire, mémoire, source de tout. |