Historique complet vu par les spécialistes

Si l'on a coutume de dire que le Pointer est le pur-sang des chiens d'arrêt, ce n'est pas parce que les autres races seraient moins pures, et cela ne signifie pas non plus qu'il ait été exempt, dans un lointain passé, de quelques croisements destinés à hâter son amélioration. D'ailleurs, ses origines gardent, encore aujourd'hui, une bonne part de leur mystère.

Non, si le Pointer est un pur-sang, c'est par la perfection de ses lignes, exactement adaptées à ce qu'on lui demande sur le terrain. C'est par le très haut niveau de ses performances : vitesse, endurance, finesse du flair. Il apparaît comme l'aristocrate dans son domaine, ou mieux, comme la « formule un » du chien d'arrêt.

Certes, très peu de personnes pourraient arriver à piloter correctement une voiture de courses, mais ce serait une grave erreur d'en déduire que le Pointer ne peut être conduit que par une élite de chasseurs ou des dresseurs professionnels, ou qu'il ne conviendrait qu'aux circuits que sont les field-trials de printemps.

Le passé de cette merveilleuse mécanique, sa genèse, en fait, méritent qu'on s'y arrête, ne serait-ce que par les questions qu'ils posent. Une chose est certaine: le Pointer est un continental. Pour lui, comme pour les Braques, il faut donc remonter au « chien chassant en plaine loin des hommes » dont fait état Arrien, au IIe siècle de notre ère. Le paradoxe est que, après être passé entre des mains expertes, il a été considéré comme 100% anglais, et qu'il a servi à améliorer la plupart de ses cousins.

Ce chien est continental, soit mais est-il italien, français ou ibérique? Sur ce sujet, on a écrit, il y a quelques décennies, d'innombrables pages. C'est donc peu dire que les avis divergent. Naturellement, des spécialistes italiens aimeraient bien faire descendre une race aussi estimée de leur Braque, et certains auteurs français ont avancé que notre Braque national n'est pas étranger à l'amélioration du Pointer. Les partisans d'une origine espagnole sont cependant en majorité. Le Braque Espagnol aurait été importé en Grande-Bretagne entre 1705 et 1713 (date du traité d'Utrecht), par des officiers et soldats anglais engagés à la suite du comte de Peterborough dans la guerre de la Succession d'Espagne. Ensuite, à partir de 1720, les chasseurs britanniques se seraient attachés à améliorer les chiens d'arrêt espagnols.

Même si l'on prend en compte le fait que cette sélection dura un bon siècle, on reste stupéfait devant la transformation radicale qui s'est opérée: le Perdiguero Espagnol (ou Perdiguero de Burgos) est en effet le plus grand et le plus lourd des Braques continentaux, avec son corps et sa tête amples, recouverts d'une peau lâche; il est très fin de flair, mais fort lent et calme, quêtant à proximité immédiate du chasseur.

L'habileté, voire le génie des éleveurs canins d'outre-Manche n'est pas contestable. Quel choix curieux, tout de même, que de prendre le chien le plus débonnaire et le plus pesant, pour fabriquer un galopeur très racé ! On a bien essayé d'expliquer la métamorphose par de savants croisements, dans lesquels seraient intervenus le Bloodhound, le Fox-Hound, le Lévrier, le Bull-Terrier ou le Bulldog. Mais, comme on le verra plus loin, cette énumération est assez étonnante.

Il est certain, en tout cas, que le Pointer a longtemps été appelé Old Spanish Pointer, et qu'il doit bien y avoir une raison à cela. Alors ? Les patientes recherches de M. Martineau, ancien président du Pointer Club français, conduisent à une hypothèse plus que plausible et qui s'accorde en même temps avec l'appellation primitive de la race: ce ne serait pas tant le Braque Espagnol qui aurait constitué la base du Pointer que son homologue portugais, autrement dit le Perdiguero Portuguès. De toute façon, dira-t-on, ces chiens sont cousins germains, et c'est d'ailleurs l'objection que l'on a longtemps faite.

Or, le chien portugais possède des caractéristiques bien différentes de celles de l'Espagnol, et, ce qui est encore plus intéressant, relativement proches de celles du Pointer moderne. C'est en effet essentiellement un chien d'arrêt au caractère pétulant, à la morphologie plutôt nerveuse et légère, aux attitudes empreintes d'une grande souplesse. Sa tête n'est pas lourde, quoiqu'elle soit assez carrée, et sa caractéristique principale consiste dans un stop marqué : on est assez près du profil concave du Pointer ! Quant à ses allures, ce sont celles d'un rapide trotteur. Sa robe renforce encore la probabilité de lai filiation Perdiguero Portuguès Pointer : jaune ou marron unicolore ou tacheté. Du jaune portugais au citron ou orangé anglais, il n'y a qu'un pas, alors que le Perdiguero de Burgos, lui, comme d'autres Braques, est le plus souvent fortement moucheté de marron.

Qui plus est, cette hypothèse n'est pas en contradiction avec l'information fournie par William Arkwright, un grand éleveur anglais qui a fortement marqué l'élevage du Pointer et qui a écrit, en 1902, un ouvrage sur la race, devenu la Bible des pointermen. Selon Arkwright, le premier Spanish Pointer parvenu en Angleterre, en 1705, aurait été amené par un marchand portugais qui le céda à un baron nommé Beekhill, du Norfolk - un personnage original : complètement ruiné, il comptait principalement sur le produit de ses chasses pour vivre. On trouve la même anecdote chez Seydeman, en 1805.

L'ascendance portugaise des premiers Pointers serait alors passée inaperçue parce qu'on désignait indistinctement tous les Perdigueros comme Espagnols. D'ailleurs, il faut rappeler que, peu de temps auparavant (de 1580 à 1640), le Portugal avait été uni à l'Espagne, ce qui a pu renforcer la confusion. En outre, depuis le début du XVIIIe siècle, particulièrement, les relations commerciales entre le Portugal et la Grande-Bretagne étaient très soutenues, plus que les relations anglo-espagnoles.

Monsieur Martineau a poussé plus loin ses recherches. Il a ainsi trouvé des analogies frappantes entre le Pointer et certaines statuettes de bronze représentant des chiens de chasse avec une perdrix à leur pied, et qui proviennent des îles Ténériffe : le Perdiguero Portuguès aurait donc transité par cet archipel avant de prendre pied Outre-Manche.

Le plus ancien témoignage de la présence de l'Old Spanish Pointer en Angleterre paraît être une toile de Stubbs, datée de 1768, qui montre un chien blanc à taches marron. On peut penser que, dès cette époque, les éleveurs anglais avaient eu recours à différentes autres races pour accélérer son perfectionnement.

W. Arkwright ne réfute pas l'existence des croisements cités plus haut, tout en jugeant leurs effets négatifs. Ainsi, le Bloodhound aurait pu céder un peu de son flair légendaire, mais n'aurait-il pas nui à l'allègement du chien ? De façon analogue, on conçoit que le Foxhound, le fameux chien courant anglais, ait pu donner de la vitesse et de l'endurance, mais cela n'aurait-il pas été au détriment de l'aptitude à l'arrêt et de la réceptivité au dressage, deux qualités essentielles du Pointer ? Il est probable que ces essais n'apportèrent effectivement rien de bon, et qu'il fallut surtout en effacer ensuite les traces.

On a pu parler de miracle quand on a constaté la supériorité du chien anglais sur les Braques continentaux de la fin du XIxe siècle. Mais, plutôt que de l'expliquer par des croisements pour le moins étranges et hétéroclites, il faut surtout invoquer une consanguinité bien conduite. De plus, on n'oubliera pas que les chasseurs anglais, souvent fortunés, n'ont pas privilégié la polyvalence de leurs chiens d'arrêt, préférant avoir des spécialistes pour chaque phase de la chasse. Ainsi, à partir du milieu du XIxe siècle, ils créèrent des Retrievers pour la recherche et le rapport du gibier tiré. Cette évolution n'a pu que faciliter la sélection du Pointer.

Si l'on en vient maintenant à une période beaucoup moins confuse, celle des premières expositions canines, qui fut aussi celle des premiers field-trials (ou épreuves de travail), le tout en Grande-Bretagne, bien entendu, il n'est pas exagéré d'affirmer que ces manifestations virent le jour au bénéfice des Pointers et des autres chiens de chasse au fusil! Il était inévitable, tout d'abord, que les éleveurs et les chasseurs voulussent présenter et comparer les mérites de leurs créations et de leurs élèves. C'est donc sous leur impulsion que furent organisées les expositions canines. La première (au monde) eut lieu à Newcastle, les 28 et 29 juin 1859, et les soixante chiens qui y furent engagés appartenaient exclusivement à deux races: Pointer et Setter. Ce n'est qu'à l'occasion de la troisième exposition canine que furent adjointes des sections pour les non sporting dogs (les chiens ne chassant pas). Ainsi les débuts de la cynophilie sont dus aux pointermen et aux settermen.

Bientôt s'imposa la nécessité de vérifier sur le terrain les aptitudes des races créées pour la chasse au fusil, c'est pourquoi les field-trials furent mis au point, six ans seulement après la première exposition. La toute première épreuve de travail eut lieu le 18 avril 1865 au château de Mr. S. Whitbread, à Southill, Bedford-shire. Pour la petite histoire, signalons qu'elle se déroula par une grande chaleur, fort inhabituelle, qui, si elle gêna beaucoup les chiens (des Pointers et des Setters, évidemment), n'entama pas l'enthousiasme des organisateurs et des participants.

L'institution des field-trials fit sans aucun doute accomplir à l'élevage des chiens d'arrêt anglais de grands et rapides progrès : rien de tel, pour pouvoir opérer une sélection raisonnée, que d'avoir à sa disposition une base de résultats, des notes précises sur les qualités et défauts de tous les spécimens (ou presque). Ces field-trials constituaient le meilleur moyen de vérifier le bien-fondé de tel accouplement, l'emploi de tel étalon. Le Pointer, notamment, fit un bond décisif grâce à eux.

Lorsque les chiens britanniques arrivèrent en France à la fin du XIxe siècle (on ne tarda pas également à importer les field-trials), ils avaient bénéficié, depuis quinze ou vingt ans, d'une méthode de sélection rigoureuse et inconnue sur le Continent. On conçoit que leurs performances suscitèrent la stupeur et l'admiration. Bientôt, tout chasseur un tant soit peu éclairé et fortuné se dut de posséder un Pointer pour battre la plaine.

Cependant, s'il fut couvert d'éloges, le Pointer fut aussi l'objet des critiques les plus acerbes. Par exemple, le marquis de Cherville pouvait prédire : « Nos races de chiens sont en train de disparaître et d'ici un quart de siècle, le chien national des Français sera le Fox-Hound, ou plutôt le Pointer avec une prédominance des qualités du Fox-Hound. » Quant au comte de Grammont, le traducteur des ouvrages du cynologue anglais Hugh Dalziel, il se crut obligé de prévenir les lecteurs français, à propos des Pointers : « Il convient de dire qu'ils sont souvent inutiles et fatigants, et ils ne peuvent remplacer les meilleures races françaises. »

Il convient de replacer cette polémique dans son contexte. Les Anglais avaient alors acquis une incontestable avance en matière d'élevage d'animaux de race pure. Ce savoir-faire avait commencé à produire ses premiers résultats dès la fin du XVIIIe siècle, avec la sélection de la race ovine Dishley, mais c'est surtout l'élevage du cheval de pur-sang qui avait acquis un considérable prestige. Or, dans leur grande majorité, les amateurs de chiens de chasse étaient en même temps des hommes de cheval. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler que, à l'origine, la Société centrale canine était une émanation du Jockey Club, en remarquant aussi que le jargon cynophile est encore tout imprégné d'hippologie.

Par ailleurs, cette vogue des chiens de chasse britanniques, et spécialement du Pointer, est l'illustration de « l'anglomanie » qui avait cours en celte fin du XIxe siècle, anglomanie qui avait commencé à se manifester dès le retour des émigrés d'Angleterre et qui avait fini par atteindre toute la bourgeoisie du second Empire (Napoléon III donnait lui-même l'exemple en matière de chiens: ses meutes étaient exclusivement composées de Fox-Hounds et de Bloodhounds). Bien entendu, un tel engouement eut ses contempteurs, qui tentèrent de défendre les vieilles races françaises, issues de « chiens de pays », et qui s'évertuèrent à leur laisser un caractère régional.

Comparer Pointer et races de Braques françaises, comme on le fit souvent, sous-entendait un malentendu fondamental. Le premier avait été conçu pour des chasseurs disposant de vastes chasses bien tenues et gardées, possédant des fusils perfectionnés, et se faisant aider par plusieurs chiens spécialisés, selon les territoires et les gibiers, et affectés à des tâches distinctes : un loisir de luxe, minutieusement organisé. Les seconds étaient destinés à des chasseurs modestement équipés, évoluant sur des territoires très morcelés, et dont le chien, qui était seul pour tout faire, devait posséder des allures très modérées, une quête fort restreinte.

Les chiens français (les autres Continentaux aussi, d'ailleurs) et les chiens britanniques se trouvaient donc aux antipodes. Mais cela n'empêcha pas, dans l'entre deux-guerres, à mesure que l'on s'efforçait de rendre les races françaises de plus en plus sportives, que le Pointer devînt l'exemple à suivre. Cependant, nul ne pouvait prétendre rivaliser en quelques années avec plusieurs décennies de sélection, aussi le Pointer servit plus encore à améliorer d'autres races. C'est un fait que, dans les expositions et dans les fields, un certain nombre de Braques étaient fortement infusés de Pointer, comme en témoigne l'anecdote rapportée par E.L. Blat à propos du Braque d'Auvergne : Dans son ouvrage paru au lendemain de la guerre, Oberthur fait déjà mention de cette pointérisation abusive et raconte comment il acheta, dans les années trente, une chienne lauréate de l'exposition à l'Orangerie des Tuileries où avait lieu à l'époque l'exposition de Paris. Saillie par un de ses étalons, il eut la désagréable surprise d'obtenir dans sa portée des chiots blanc et foie.

Cette pointérisation eut ses inconvénients. D'une part, il en résulta la production de mauvais Braques, d'un tempérament trop ardent pour leurs qualités physiques ou trop vite pour leur nez, mais fallait-il en conclure que le Pointer n'amenait rien de bon ?

D'autre part, on nota l'apparition de mauvais Pointers à queue courte. De fait, il ne suffit pas qu'un chien traverse la Manche pour qu'il se révèle excellent, et il est évident que, la mode aidant, tous les Pointers importés n'étaient pas de grande qualité.

En France, l'implantation de la race a été rapide et solide, puisque le Pointer Club français a été créé dès 1891 ! D'abord adopté par l'élite des chasseurs, le Pointer n'a pas manqué, ensuite, de profiter du développement des field-trials. Il est incontestable, cependant, qu'on l'a destiné un peu trop exclusivement aux compétitions, en particulier celles dites de « grande quête » qui ne correspondent pas tout à fait aux impératifs de la chasse pratique, et que sa diffusion s'en est trouvée quelque peu entravée. Cette opinion est corroborée par un ancien président du Club français, J. - P. Bouin : « Malheureusement, par une politique à courte vue et peut-être trop axée sur la grande quête et pas suffisamment sur la chasse pratique, le club en charge de cette merveilleuse race n'a pas su, durant trop d'années, la vulgariser au sens noble du terme, je veux dire la faire mieux connaître et apprécier. »

Il ne faut pas s'étonner que le Pointer ait gardé longtemps cette image de grand trialer, de sportif de haut niveau réservé à une minorité de chasseurs.