Le Bull Terrier, que l'on appelle aussi White Cavalier, est une des plus vieilles races de Terriers, puisque, dès 1822, son nom est mentionné par Pierce Egan dans les Annals of Sporting. Le surnom de ce chien, par ailleurs, ne trompe pas sur ses qualités et ses aptitudes : « gladiateur de la gent canine », un surnom qui lui vient de très loin, lorsqu'il eut à combattre d'autres chiens dans les fosses aux parois boisées que l'on appelait les pits.
Ce « sport », dont les origines remontent au Moyen Age, fut très populaire en Grande-Bretagne. Pendant très longtemps, ces spectacles, connus sous le nom de bull baitings, n'opposèrent, en fait, que des chiens, notamment des Bulldogs, à des taureaux (maintenus par une solide longe), puis, au XVIIIe siècle, sous l'impulsion des rois et des seigneurs qui s'étaient réservé l'exclusivité de l'usage des Mastiffs, d'autres combats tout aussi sanguinaires furent organisés, où ces chiens luttaient avec des ours et des fauves.
Avec la révolution industrielle et le développement des grandes cités, où vivaient mineurs, métallurgistes et ouvriers tisserands, le traditionnel et campagnard bull baiting se diversifia grandement. Au taureau, on substitua toutes sortes d'animaux sauvages ou dornestiques - blaireaux, ours, ânes, chevaux, singes, parfois lions ou léopards -, toujours dans le dessein de renouveler l'intérêt des spectacles et d'augmenter les sommes sur les paris engagés, mais aussi de concurrencer les très populaires combats de coqs et les rats killing matches, concours de chiens ratiers.
Ces combats étaient surtout organisés à Londres, à Birmingham, dans les Midlands et dans le nord de l'Angleterre. Dans la capitale, deux arènes avaient été construites: Westminster Pit et Paddington Pit. Raymond Triquet nous donne d'ailleurs une idée de ce que furent les programmes proposés au début du XlXe siècle (exactement en 1821), en publiant le texte d'une affiche publicitaire: « Combat contre un ours et un taureau, combat entre deux chiens, et, comme attraction principale, le combat du singe Jacco Maccacco, déjà treize fois vainqueur, contre une chienne. »
Quoique nulle part mentionné le nom des races engagées, il faut savoir que les chiens de combat étaient généralement issus de croisements entre le Bull dog et divers Terriers, comme le Fox, le Black and Tan Terrier (ancêtre du Manchester Terrier) et surtout le Old English White Terrier (Vieux Terrier Blanc Anglais). Ces sujets, ainsi que l'écrivit Hamilton Smith en 1843 dans sa Naturalist 's Library, « étaient les plus têtus et les plus féroces qui soient » ou, selon Clifford Hubbard, dans Dogs in Britain, « étaient plus grands et plus forts que les Bull-Terriers d'aujourd'hui, et surtout avec une tête bien différente, proche de celle de l'ancien Bulldog », « des bâtards particulièrement laids », comme le précisa encore Henry Davis dans The Modern Dog Encyclopedia. Les dénominations, multiples, sous lesquelles on désignait ces chiens - Bull and Terriers Dogs, Half and Half, Pit Dogs, Pit Bulls - montraient par ailleurs quelles races avaient servi: au Bulldog jugé trop lourd, on avait adjoint du sang de Terrier, un animal considéré comme têtu et agile.
Quoi qu'il en soit, au moment où les bull baitings furent interdits en 1835 par le Parlement britannique le Bull Terrier semblait déjà proche de celui que nous connaissons aujourd'hui. Ce chien de combat, en fait, ressemblait assez à un Staffordshire Bull Terrier, aux oreilles taillées très court et d'un gabarit souvent plus important: 45 cm au garrot pour un poids de 20 kg. L'interdiction des combats d'animaux, décrétée par le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté, ne mit toutefois pas un terme aux luttes entre chiens, et ceci pour trois raisons essentielles: on ne pouvait interdire aux Britanniques ni de posséder de tels chiens ni de leur faire pratiquer un entraînement intensif, d'autant que leur agressivité était dirigée exclusivement contre leurs congénères; enfin, il était difficile de contrôler les lieux, granges, arrière-cours de pubs ou carrières (notamment celles de Bodmin Moor en Cornouailles) où se déroulaient les combats, lesquels purent ainsi être organisés sans véritable risque jusque dans les années cinquante - certains cynophiles, tel R. Triquet, précisent même qu'il en existe encore aujourd'hui dans le nord de l'Angleterre.
C'est en 1860 qu'apparut le premier chien issu directement des Pit Dogs et digne de figurer dans des expositions. Ce White Cavalier, qui fut rapidement appelé Bull Terrier, appartenait à un dénommé James Hinks, marchand de chiens de son état et habitant Birmingham. Il s'agissait d'un sujet à la robe entièrement blanche, à la tête plus fine et plus longue que celle des autres chiens de combat. Si James Hinks ne donna jamais sa « recette » pour créer un tel chien, il ne fait toutefois guère de doute qu'il fut issu d'un croisement entre un Bulldog et un Old English White Terrier, enrichi vraisemblablement par la suite de sang de Dalmatien, ou à un degré moindre de sang de Greyhound, de Whippet, voire de Pointer.
Les cynologues ont en fait cherché à expliquer par ces différents enrichissements, au demeurant assez hypothétiques, le profil ovoïde de la race (en « ballon de rugby »), qui devait s'accentuer un peu plus tard.
Certains, tel Edward Ash dans son Practical Dog Book, mentionnèrent même un apport de Collie (Colley). J. Dhers, très célèbre cynologue français, émit quant à lui un avis fort différent de celui de ses homologues britanniques: « Si l'on retrouve chez le Bull Terrier quelque chose du Dalmatien et du Greyhound, je lui trouve assez peu de ressemblance avec les Terriers Bassets (on a parlé du Cairn et du West Highland White Terrier) et moins encore avec le Colley, dont, quoi qu'on en ait dit, la forme du crâne n'est pas celle du Lévrier. Le crâne ovoïde du Bull Terrier me paraît surtout rappeler celui du Whippet, lui-même fils de Terrier. » Et il faut admettre que l'analyse de Dhers reposait sur des faits indubitables, puisque, vers 1860, le Collie n'avait pas encore la tête longue et fine dont s'enorgueillit la race aujourd'hui, tout comme il paraît certain que l'on n'a pas suffisamment insisté sur le rôle joué par le Old English White Terrier, qui avait été abondamment croisé avec des petits Lévriers pour affiner leurs lignes.
Toujours est-il que le Bull Terrier « nouveau » attira les habitués des expositions canines et les amateurs d'originalité, en particulier une jeunesse qu'un certain esthétisme portait à sortir des sentiers battus en choisissant pour compagnon un chien qui avait été celui des mineurs de fond et des piliers de cabarets. Cette recherche d'excentricité ne manqua pas de susciter la colère et les critiques des défenseurs du Bull Terrier « ancienne manière », qui reprochaient à Hinks d'avoir fait dégénérer ce chien de combat célèbre pour en faire un sujet d'exposition à la robe blanche immaculée et à la tête élégante. Hinks proposa alors à ses détracteurs d'opposer sa chienne Pussy à n'importe quel autre Bull Terrier de combat, promettant au vainqueur pas moins de cinq livres (une belle somme à l'époque) et une caisse de champagne. La rencontre fut organisée chez Tuppers à Long Acre dans le quartier londonien de Covent Garden. En trente minutes d'un combat acharné, Pussy mit à mort son adversaire, si bien que le lendemain, tout auréolée de sa victoire et fort peu marquée par sa rencontre, la chienne obtenait son premier prix d'exposition canine.
Une belle carrière s'ouvrait pour la race. A la fin du siècle dernier, le Bull Terrier était devenu un fidèle gardien, bien élevé de surcroît, et tout naturellement son appellation de « gladiateur » fut remplacée par celle de « gentilhomme ». Quant aux anciens Bull Terriers, il ne leur restait plus que les combats clandestins, la chasse aux rats dans les écuries ou lors de compétitions chronométrées, ainsi que la chasse au blaireau et au sanglier.
A cette époque, le Bull Terrier créé par Hinks pouvait encore varier considérablement en volume, et, bien qu'une classe spéciale pour les sujets pesant moins de douze livres (environ 5,4 kg) eût été prévue à l'exposition d'Islington de 1863, les juges ne primaient encore que des chiens de grande taille. Dans son ouvrage Modern Dogs paru en 1903, Rawdon Lee s'insurgeait d'ailleurs contre une telle discrimination, puisque le Bull Terrier miniature existait dès les débuts de la race. De même, ce ne fut qu'à la fin du XIXe siècle que fut fixée la doumface, c'est-à-dire cette tête si particulière, sans aucun stop, ne présentant aucun modelé et au profil s'incurvant lentement.
Un premier coup d’arrêt allait être donné au Bull Terrier en 1895. A cette date, en effet, le roi Edouard VII demanda au Kennel Club d'interdire la coupe des oreilles, ce qui ôtait à la silhouette du Bull Terrier, jusque-là pourvue d'oreilles taillées en pointe (héritage d'une pratique courante chez les chiens de combat), une partie de son charme. Les éleveurs ne se découragèrent pas pour autant, et, par sélection, ils réussirent à produire des chiens aux oreilles naturellement droites, qui, tout au moins dans un premier temps, furent les seuls - avec ceux à oreilles serni-pliées - à être autorisés.
Les éleveurs n'avaient cependant pas gagné la partie, et ils se trouvèrent bien vite confrontés à un autre problème, qui d'ailleurs, pour l'avenir même de la race, se révéla plus préoccupant encore: un nombre important de Bull Terriers étaient atteints de surdité à la naissance. Pour endiguer la progression de cette infirmité, outre un effort d'éradication par élimition des sujets la transmettant, le standard fut en 1920 l'objet d'une révision qui mit un terme à l'exclusion des sujets blancs - il semble que la couleur blanche était liée à cette tare (bien que des généticiens aient réfuté cette thèse) -, en autorisant enfin les Bull Terrier à robe colorée. Cette décision permit non seulement de résoudre le problème de surdité mais également de régler celui de la dépigmentation envahissante, fort inesthétique, dont la race était alors fréquemment affligée. Enfin, la plus grande variété de couleurs donna un surcroît de popularité au Bull Terrier.
En 1943, après bien des vicissitudes, la variété « miniature » fut ajoutée au standard par le Kennel Club, mais elle n'en fut guère mieux diffusée pour cela. Quoique son existence fût fort ancienne - on peut lire en effet dans le catalogue de Cruft que « de petits Bull Terriers existaient au début du XIXe siècle et que le Bull Terrier miniature est issu de cet ancien petit Bull Terrier et du vieux Toy Bull Terrier » -, elle était quasiment en voie de disparition au lendemain de la Première Guerre mondiale. Dans ces conditions, les amateurs du Bull Terrier miniature n'avaient pas eu d'autre solution que d'augmenter son poids, qui fut, dans les expositions, porté à 18 livres (8,2 kg environ).
Le succès du Bull Terrier fut à son zénith après la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle il fut utilisé comme chien policier et comme chien de chasse au gros gibier en Afrique, parce que résistant particulièrement bien aux climats tropicaux. Depuis, le Bull Terrier s'est implanté aux Etats-Unis et dans tous les pays du Commonwealth; il est une des races préférées en Afrique du Sud, ainsi qu'en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. |