Le Grand Bleu de Gascogne, ce chien fier et à la nombreuse lignée, est une race qui a été fixée bien avant celles des Anglo-Français et des Poitevins. Cependant, comme pour la majorité des chiens courants, son origine fait encore l'objet de contestations parmi les spécialistes. En effet, si l'on se réfère aux écrits anciens, il apparaît que le type du chien gascon fut défini par Gaston Phébus, comte de Foix, le célèbre auteur du Livre de la chasse (1387), mais, pour ce qui est de savoir quels furent les ancêtres de ce très beau chien courant, les avis restent divergents.
On peut rappeler que, en 1357, Phébus fit une expédition guerrière en Prusse orientale (l'actuelle Pologne), au retour de laquelle il passa par l'abbaye de Saint-Hubert en Belgique, connue en particulier pour ses fameux chiens de Saint-Hubert, qui comprenaient deux variétés, les blancs et les noirs. Les Grands Bleus de Gascogne sont très proches de ces Saint-Hubert noirs, mais il est néanmoins difficile d'affirmer que ce sont les moines qui ont exclusivement fourni à Gaston Phébus la souche de sa race, car il est également possible que certains géniteurs aient été rapportés par le seigneur de Béarn, après sa campagne teutonique: si l'on sait que le prince à la crinière de lion manifesta à son lieutenant Corbeyran de Rabat tout l'intérêt qu'il portait aux « chiens superbes à fourrure argentée » en compagnie desquels on chassait le renne et l'élan de l'autre côté de la Baltique, on peut effectivement supposer que ces derniers ont joué un rôle dans la constitution de la race gasconne.
Mais il existe encore une autre hypothèse, liée à l'histoire de la Belgique, qui n'exclut d'ailleurs pas les précédentes : l'évêque de Tongres et de Liège, qui fut béatifié et devint patron des chasseurs, était, semble-t-il, originaire d'Aquitaine, d'où il serait parti avec ses chiens pour évangéliser la Belgique (il mourut à Liège en 727). Ainsi, les chiens gascons pourraient être les ancêtres des Saint-Hubert, et non l'inverse. Cependant, les archives de l'époque ne permettent pas de trancher la question, car on ne peut savoir avec précision quelle lice fut couverte par quel étalon, et, en tout état de cause, la vérité se situe sans doute entre les différentes versions.
Toujours est-il que ces chiens furent ramenés des Ardennes et que Phébus les croisa avec des races d'origines incertaines, trouvées dans le Béarn, et peut-être aussi avec des chiens de « Barbarie » (du nord-ouest de l'Afrique), ces « chiens Baux » de couleur claire qui, du Maroc à la Tunisie, étaient alors utilisés pour forcer le « rangier », autrement dit la race de cerf présente dans l'ensemble du Maghreb. Il est certain, en effet, que la fantaisie des veneurs du XIVe siècle, qui étaient plus préoccupés par les qualités de chasseurs de leurs chiens que par les prix qu'ils auraient pu remporter dans des expositions canines ; lesquelles ne furent créées de toute façon que plusieurs siècles plus tard ; entraîna des croisements très divers.
Alors, il n'y avait pas de standard homologué. Il n'empêche que, de nos jours, les races gasconnes sont bien déterminées. Ainsi, le Grand Bleu est l'un des plus grands chiens courants, avec une taille qui se situait entre 64 et 75 cm au début du siècle, et que l'on limite maintenant à 65-72 cm pour les mâles et 62-68 cm pour les lices. Sa grande finesse de nez et la façon qu'il a de coller à la voie en font un excellent rapprocheur.
Lorsque les loups parcouraient encore les forêts des Landes, de la Gironde et du Lot-et-Garonne, les Grands Bleus rendaient d'immenses services aux équipages spécialisés dans la chasse de cet animal endurant mais rusant peu; des chiens moyennement rapides, tenaces et collés à la voie convenaient parfaitement pour le traquer, même s'ils ne le prenaient qu'au bout de deux ou trois jours. En 1863, si l'on en croit le grand veneur qu'était le Couteulx de Canteleu, la meute du baron de Ruble, conservée au sein de la même famille depuis Henri IV, restait l'une des plus belles de France pour la chasse du loup.
Mais la voie du lièvre convenait aussi fort bien aux Grands Bleus de Gascogne, comme en témoigne en particulier la meute de M. Léo Ducasse (où l'on retrouvait d'ailleurs des produits de celle du baron de Ruble), qui prenait entre 60 et 70 lièvres par an en Gironde, dans la région de Langon, entre 1860 et 1870 ; tous ceux qui ont chassé le lièvre à courre savent ce qu'une telle performance peut représenter!
Albert de Mérignac utilisait aussi des Gascons, parfois croisés avec des Saintongeois, pour chasser lièvre et chevreuil en Aquitaine, et il ne faut pas oublier qu'il faisait partie de ceux dont la meute était fort réputée, à la fin du siècle dernier. Quelques décennies plus tard, on retrouve le chien de Gascogne dans la voie du lièvre, notamment au rallye Merrein, au rallye Rimbez ou au rallye Pindères. Le premier, à M. Cruze, s'est aujourd'hui remis dans la voie du chevreuil, et le maître d'équipage a croisé ses chiens avec des Saintongeois. MM. de Lacaze, fils du fondateur du rallye Pindères, préférèrent croiser leurs Grands Gascons avec des Virelades, ainsi qu'avec des Gascons-Saintongeois de M. de Mérignac, pour chasser le lièvre dans le Lot-et-Garonne.
Le rallye Rimbez, lui, fondé en 1880, n'a commencé à exposer ses chiens qu'à partir de 1911, date à laquelle ils étaient déjà mâtinés de Saintongeois, ce qui n'empêchait pas l'équipage de prendre entre 25 et 30 lièvres par saison, dans les Landes.
Aujourd'hui, le Bleu de Gascogne figure toujours dans les meutes d'Aquitaine, mais il n'y est plus guère utilisé que pour la retrempe. Si certains équipages déclarent officiellement employer des Gascons, il semble, à entendre M. Bachala, président du Club, qu'il n'existe guère d'équipage français découplant de grands chiens courants dont la meute n'ait point de sang gascon dans les veines. Et, lorsque l'on demande si l'un de ces superbes chiens est à vendre, la réponse est que les adultes n'ont pas de prix.
Si, du point de vue morphologique, les quelques croisements ont différencié les Grands Bleus de Gascogne des Saint-Hubert noirs, au plan du comportement, notamment dans la chasse, les deux races apparaissent très proches. Il s'agit en particulier de chiens moyennement rapides, mais très fins de nez et très accrocheurs, et c'est ce qui fit que les Gascons furent excellents ; et tellement appréciés par Henri IV ; dans la chasse du loup, pour laquelle les chiens doivent avoir des aptitudes qui ne sont pas celles des chiens anglais, rapides mais facilement découragés devant la difficulté. Ainsi, la meute du duc de Beaufort, qui fut renommée en Angleterre à la fin du siècle dernier, connut de cuisants échecs en voulant chasser le loup, lors d'un déplacement dans le Haut-Poitou en 1863. Le vicomte de la Besge, qui assista à ces chasses (et qui chassait quant à lui avec des Poitevins), précise que, pour prendre le loup et les louvards, il faut « des chiens spéciaux doués d'un nez exquis, d'un grand pied et d'un fond inépuisable ».
Toutes ces qualités, le Grand Bleu de Gascogne les possède, et il est capable de relever de délicats défauts par les temps les plus secs, voire sur les chemins où la poussière rend généralement les chiens inaptes à sentir une quelconque voie de gibier. De plus, le Gascon est doté d'une fort belle voix, le plus souvent centrée dans les tons bas. Et, si les louvards que prenait M. de Ruble avec les Grands Gascons ont maintenant disparu de notre territoire, ces chiens sont toujours utilisés dans la voie du chevreuil, du lièvre et même du sanglier.
Aujourd'hui, on les trouve dans la plupart des régions de France, bien qu'ils soient souvent mâtinés de Saintongeois ou de chiens français d'origines diverses, comme c'est par exemple le cas pour la meute du rallye Varena qui chasse le chevreuil en Dordogne. Dans le Lot-et-Garonne, Piqu'avant les Bleus a choisi un nom qui ne fait aucun doute sur la race des chiens avec lesquels il entend chasser également le chevreuil: une noble et vieille race qui a su maintenir les qualités de ses ancêtres. |