D'où vient le Petit Bleu de Gascogne ? Dresser la généalogie de cette race semble bien difficile, voire impossible quand on sait que l'origine des Grands Bleus est elle-même sujette à discussion. Les ancêtres des chiens gascons furent-ils rapportés par Gaston Phébus au retour de ses expéditions dans le nord-est de l'Europe? Le comte de Foix aurait peut-être récupéré également quelques chiens noirs de la race de Saint-Hubert lors de ses passages à l'abbaye du même nom, près de Liège. Ou bien, au contraire, Phébus céda-t-il aux moines de l'abbaye des chiens que lui-même avait élevés en Gascogne? Toujours est-il que les Bleus de Gascogne ont un jour fait surface, sans doute du fait d'éleveurs• qui ont exercé leur activité il y a fort longtemps, et que tout le monde s'accorde pour dire que leur parenté avec les Chiens noirs de Saint- Hubert est évidente. Reste le problème des « Petits Chiens Bleus de Gascogne ».
La première référence que l'on peut trouver sur des Petits Bleus émane du rallye Pindères. Elle n'est pas répertoriée dans les annales de la Société centrale canine, mais on peut lire dans les annuaires de vénerie du début du siècle: « Le rallye Pindères fut fondé en 1838 par M. de Lacaze, grand-père de l'un des maîtres actuels. A l'origine, cet équipage était composé de Petits Chiens Bleus de Gascogne, grandis par des croisements avec des chiens Gascons et Gascons-Saintongeois, et fut maintenu dans les voies du lièvre et du loup jusqu'en 1870, année de la disparition des loups dans les landes de Gascogne. En 1875, on adjoignit à ces chiens quelques Griffons de la Côte-d'Or, qui s'acclimatèrent mal. En 1884, M. de Lacaze reprit l'élevage exclusif des chiens Gascon et Gascon-Saintongeois. »
Ces renseignements sont donnés en 1929 par M. Henri de Lacaze, ce qui semble accréditer l'existence des Petits Bleus de Gascogne au milieu du siècle dernier. Mais, même si cette note se retrouve dans plusieurs publications des années trente, elle ne fait déjà plus foi. Karl Reille, quant à lui, dans La Vénerie française contemporaine, un ouvrage publié en 1914, ne parle que de Grands Bleus de Gascogne pour le rallye Pindères. Et encore devait-il subsister dans leurs veines bien des traces de sang saintongeois et bourguignon.
En 1956, les chiens du rallye Pindères ont été repris par Edgard Bissières, pour le compte du rallye Piqu'avant les Bleus, mais, à l'époque, ils avaient été croisés avec les Virelades du marquis de Villeneuve.
Le sang Saintongeois y apparaissait nettement marqué. Il existe d'ailleurs une source d'information très intéressante sûr les élevages de cette période : un « Recensement pour l'année 1934 » des Gascons-Saintongeois et des Bleus de Gascogne. On y relève par exemple que le sujet Jalousie, de Pindères, dont la mère était Durandal, de Virelade, mesurait 0,56 m au garrot, une taille qui l'aurait probablement fait accepter aujourd'hui sous le standard des Petits Bleus de Gascogne. Plusieurs chiens du rallye Vielsalm, qui chassait ; et chasse toujours ; le chevreuil en Belgique, semblent correspondre au même standard, mais il est bien difficile, là encore, de dire quelle était la proportion de sang saintongeois dans leurs veines.
Il faut dire que le standard du Grand Bleu de Gascogne n'a été élaboré qu'en 1921, par une commission présidée par le marquis de Mauléon, également président de la Société canine du Gers, et que, en ce qui concerne celui du Petit Bleu de Gascogne, l'actuel président de la Société canine du Gers, M. Bachala, n’a aucune référence antérieure à 1971. En 1974, la race ne comptait que deux chiens inscrits au Livre des origines français. Mais elle est en progression constante, puisqu'on pouvait totaliser 725 sujets sur le même registre au 31 décembre 1988, l'augmentation des effectifs étant alors de l’ordre de 33,5% par an.
Les raisons pour lesquelles les éleveurs se sont penchés de nouveau sur cette race sont vraisemblablement de deux ordres. Les Bleus de Gascogne sont tout d'abord des chiens dont l'esthétique et l'allure tranchent par rapport à celles des Anglo-Français généralement utilisés pour la chasse. Mais surtout, à une époque où la vénerie est de plus en plus dénigrée par l'opinion publique, la chasse aux chiens courants connaît une vogue croissante, principalement dans le sud-ouest de la France. Autrefois, on y poursuivait le loup, mais, hélas, l'animal a disparu, et les veneurs gascons se sont rabattus sur le lièvre et le chevreuil.
Ce dernier fait actuellement l'objet d'une poussée démographique spectaculaire dans les forêts landaises, où la monoculture du pin maritime semble lui avoir parfaitement convenu. Par ailleurs, nombre de chasseurs aux chiens courants se contentent, pour des raisons financières, de la chasse du lièvre, gibier que l'on peut « courre » à pied, sans les chevaux ni les grands trains d'équipage qu'exige la vénerie traditionnelle.
Or, pour chasser ainsi le lièvre, comme pour chasser le chevreuil dans les sous-bois landais, où abondent fougères et ajoncs, mieux vaut avoir des chiens de petite taille: ils se faufilent mieux dans la végétation, et, si un lièvre part en plaine, ils sont plus faciles à suivre par les chasseurs à pied. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les Petits Bleus restent moins fins de nez et moins collés à la voie que leurs ancêtres de plus grande taille. Ils semblent même plus requérants que les Grands Bleus lorsque, par une ruse quelconque, un lièvre met la meute en défaut. Avec eux, on est loin de ces chiens anglais, qui se découragent dès qu'une difficulté apparaît.
Dans bien des cas, c'est plus en fonction de leurs qualités de chasseur qu'en fonction de leur apparence physique qu'ont été sélectionnés les chiens qui sont aujourd'hui reconnus comme Petits Bleus de Gascogne par la Société centrale canine. Il en va d'ailleurs de même de beaucoup de chiens courants, pour lesquels les éleveurs se préoccupent plus d'efficacité que de standard. Le rallye Vielsalm, aujourd'hui mené par le baron Janssen, en Belgique, affirme que ses chiens sont largement mâtinés de Saintongeois. Le rallye Varena (l'un des équipages français à avoir l'une des plus belles fanfares) a croisé ses Petits Bleus avec des Anglo-Français Tricolores.
Bref, la pureté du sang des Petits Bleus de Gascogne restera difficile à préserver, d'autant que, pour qu'ils restent conformes au standard, la taille des sujets ne doit pas excéder 56 centimètres au garrot pour les femelles et 60 centimètres pour les mâles.
Le grand saint Hubert aurait certainement beaucoup de mal à retrouver ses chiens, même avec l'aide de Gaston Phébus. Tous deux hésiteraient sans doute dans bien des cas si on leur demandait aujourd'hui de dire avec précision si tel ou tel chien a ou non du sang saintongeois. L'important est donc de retenir que nos Bleus sont d'excellents chiens courants, collant à la voie. Les Petits, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser un mètre pour mesurer leur hauteur au garrot, conviennent parfaitement dans la voie du lièvre et du chevreuil. Et, s'ils ont 1 ou 2 centimètres de trop, le maître d'équipage pourra néanmoins les conserver, à condition de ne pas prétendre les présenter dans les concours. |