Dans son remarquable Manuel de la vénerie française, publié en 1890, le comte Le Couteulx de Canteleu parlait encore des « bâtards du Haut-Poitou ». Il faut noter que ces chiens, aujourd'hui dénommés Poitevins, n'existaient alors tout au plus que depuis une quarantaine d'années. C'est en effet à partir de 1842 que le vicomte Emile de La Besge créa la race, et ce, à la suite d'incidents dramatiques.
Ce gentilhomme avait commencé à chasser dès 1830, lorsqu'il avait dix-huit ans. Il avait fait l'école spéciale militaire de Saint-Cyr, mais son père, royaliste intransigeant, préférait le voir courir le loup plutôt que de le laisser servir dans une armée révolutionnaire. Le vicomte Émile entreprit donc un élevage à partir de descendants des grands Chiens Blancs du Roy, croisés avec des Laryes ; ces derniers, selon certains, étant issus de chiens tricolores irlandais (mais ce n'est pas l'opinion de Le Couteulx; la question reste à élucider).
Toujours est-il que la meute prospéra jusqu'en 1842, date à laquelle la rage commença à dévaster le chenil que M. de La Besge entretenait en forêt de Moulière, entre Châtellerault et Poitiers. Seuls un chien et deux chiennes qui étaient restés au chenil de Persac, résidence du vicomte, furent épargnés. M. de La Besge fit alors venir six chiens anglais, mais il se révéla que deux d'entre eux ne voulaient guère se frotter aux épines, aussi se résolut-il à les céder à M. de La Débutrie, en Vendée. A ce moment, il restait au vicomte deux chiens célèbres, d'origine anglaise, Talbot et Rochester, ainsi que deux chiennes françaises, Tartane et Turbulente. Talbot et Turbulente donnèrent naissance, notamment, à Fringante, une chienne qui eut une grande réputation du fait de sa finesse de nez et de sa vitesse. C'est elle qui fut saillie par Traveller, un superbe chien anglais que La Besge s'était procuré chez Le Couteulx en échange d'un quart-sang nommé Vaillant. De ce couple sont censés être issus tous les Chiens du Haut-Poitou actuels, qui ont été homologués en 1957 comme race Poitevine.
L'un des plus célèbres descendants de Fringante et de Traveller fut Faublas. La Besge en dit: « C'était l'expression complète de la force, de la puissance, jointes à la légèreté et à une distinction incomparable. Comme qualité, il joignait à une finesse de nez merveilleuse une voix et une menée magnifiques, et, comme vitesse et comme vigueur, il n'a jamais, je crois, été égalé. Je lui ai vu prendre seul un grand loup au bout de six heures, après avoir reçu au bout de trois heures un relais de chiens très vigoureux, puis à lui seul aussi deux grands louvarts. »
Ces origines des Poitevins ne font cependant pas l'unanimité. Ainsi, le comte Henri de la Porte les situe en d'autres lieux et à une date antérieure puisqu'il affirme que, dès 1835, ses oncles Auguste et Paul avaient déjà fixé la race à partir de deux sujets : Ténor et Ravissante. Il reconnaît néanmoins qu'il y avait déjà beaucoup de races dans le Haut-Poitou, pays où la chasse aux chiens courants est prospère: outre les Laryes, c'est là que s'étaient développés les Céris, les Couhés, les Foudras.
En définitive, il est vraisemblable que ces divers chiens sont à l'origine de ceux que M. de La Besge père donna à son fils pour le persuader de chasser plutôt que de s'engager dans une armée républicaine, et que les Poitevins actuels descendent des bâtards élevés par le vicomte, donc de Fringante et de Traveller.
Le Poitevin est donc initialement un croisement de chien français et de chien anglais, à la silhouette particulièrement distinguée. Cette silhouette s'explique si l'on admet l'hypothèse selon laquelle les Laryes avaient des Greyhounds, autrement dit des Lévriers, dans leur ascendance. Quatre retrempes anglaises en quarante ans n'ont guère changé l'aspect des chiens de M. de La Besge, et on retrouve aujourd'hui leurs descendants dans nombre d'équipages. Le docteur Guillet, qui fut le plus grand spécialiste du chien d'ordre, en avait un lot exceptionnel au rallye Kéréol.
C'est avant tout pour chasser le loup que M. de La Besge avait formé ses chiens. Son principal souci était qu'ils passent bien dans les ajoncs, car il est vrai que la Moulière, qui constituait le cœur de son territoire, comportait, à cette époque, beaucoup de landes très piquantes : elles occupaient les sites déboisés pour l'exploitation de la « meule » ; pierre pour les moulins ; d'où la forêt tire son nom. Mais il fallait aussi rendre les chiens capables de prendre de grands loups, ce à quoi ne parvenaient, selon les chroniqueurs d'alors, que deux grands veneurs: Le Couteulx et, bien sûr, le vicomte Emile! Ces derniers s'échangeaient d'ailleurs régulièrement des chiens.
Les grands loups menaient parfois les veneurs sur 100 kilomètres, aussi il pouvait être nécessaire d'arrêter la meute au cœur de la nuit pour la remettre à la voie au petit matin. On ne peut que s'émerveiller des qualités qui étaient alors exigées des chiens, parmi lesquelles la finesse de nez était primordiale. En ce qui concerne le Poitevin, Henri de La Porte, le neveu de ceux qui élevèrent Ténor et Ravissante, précise: « Son nez, long et arqué, annonce par sa conformation la puissance de son odorat; il évente à de grandes distances, et rapproche en galopant des voies de loup assez fortes. » Et cet auteur insiste, tout comme La Besge, sur l'opiniâtreté de la race, même lorsqu'elle doit passer dans les branches ou les ajoncs.
Mais, pour saisir toutes les qualités des chiens de Persac, il faut reprendre les récits du vicomte Emile. Persac était donc le nom de la propriété où était situé son chenil, sur les bords de la Vienne, tout juste au sud de Lussac. La forêt de Gouex était à sa porte, et la Moulière, la Braconne, les forêts de Rancon, de Brigueuil ou de Mareuil n'étaient qu'à quelques lieues. C'est sur ces territoires que, en 1863, La Besge put comparer la valeur de ses chiens à celle des Fox-Hounds du duc de Beaufort.
Cette année-là, en effet, le duc vint d'Angleterre pour tenter de forcer quelques-uns de nos louvarts avec une meute de soixante chiens. Lorsque la meute de Badminton ; tel était son nom ; arriva en Poitou, tous les grands veneurs de la région étaient là : le baron de Champchevrier, MM. Roux de Reilhac, de Montbron, etc. Bref, ils étaient entre cent et cent cinquante cavaliers pour appuyer les chiens du duc, mais, malgré le remarquable travail des rapprocheurs de MM. Guichard, les chiens anglais ne voulurent jamais prendre la voie du loup!
Donc, quarante-huit heures après, voilà que Ténébro, Mauresque, etc., du lallye Persac, furent découplés en forêt de Verrières. A sept heures, le piqueur mit sur pied un louvart qu'emmenèrent aussitôt Stentor, Mauresque et Talbot. Les trois chiens lui imposèrent un train d'enfer jusque vers dix heures, moment où le reste de la meute fut mis à la voie. Vers midi, tous les chiens tombèrent en défaut, au bord d'une petite rivière. Le vicomte fit ses devants, ses arrières, sans résultat. Mais il lui manquait le fameux Ténébro. Brusquement, on l'entendit donner de la voix quelque 100 mètres en avant: le chien avait tout seul retrouve la voie du loup, qui se fit prendre quelques minutes après.
Tels sont les chiens du Poitou: très fins de nez, capables de reprendre une voie après plusieurs heures de défaut, passant partout, y compris dans les ajoncs qui étaient la hantise de M. de La Besge. Mais les chiens de Persac se démarquaient aussi dans la voie du cerf ou du chevreuil. C'est encore la célèbre Mauresque qui, un jour, relança seule un cerf attaqué en forêt de Mareuil et qui s'était tapi dans le « bois au roi », au-dessus de Bonneuil-Matours, d'où les animaux se mirent à jaillir de toutes parts lorsqu'arriva la meute. Aussitôt rejointe par son frère Ténébro, elle força avec lui le cerf à sauter le mur du domaine de Mariville, qui bordait le bourg à l'est de la Vienne. Ténébro réussit lui aussi à passer l'obstacle, qui ne devait pas faire moins de 2 mètres de haut, et força l'animal sur le toit d'une maison située à flancs de coteaux!
On laissera la conclusion à Henri de La Porte: « Je souhaite à mes ennemis vingt-cinq bons chiens de cette race, et je suis persuadé que la réconciliation sera bientôt faite! » |