Histoire classique : un gentleman farmer britannique, profitant du loisir que lui laisse sa condition de retraité de la marine, devient un chasseur enragé. Seulement, la discipline qu'il pratique, la chasse de la loutre, nécessite des chiens aux qualités particulières. Comme il n'en trouve pas, il s'emploie à sélectionner sa propre lignée.
Sans doute, Outre-Manche, bien d'autres passionnés créèrent leur propre Terrier, mais, dans la plupart des cas, leur renommée ne dépassa pas les limites de leur village. Le Captain John Owen Tucker Edwardes ; du village de Sealyham, situé, comme son nom l'indique, près de la rivière Seal et, comme il ne l'indique pas, dans le comté de Pembroke, près de Haverfordwest, en plein pays de Galles ; eut, lui, plus de chance et un plus grand talent.
Vers 1851, il commença à s'illustrer dans la poursuite de la loutre avec un pack d'Otterhounds, chiens courants à poil long et de grande taille, spécialistes de ce prédateur aquatique, mais auxquels leur imposant gabarit ne permettait pas de suivre la loutre dans ses derniers retranchements: Edwardes adjoignit donc à sa meute quelques Terriers locaux, certainement très divers par leur apparence, mais au tempérament suffisamment trempé pour affronter un animal bien armé et pouvant mesurer 1 mètre de long pour un poids d'une dizaine de kilos.
Pour s'assurer de leur force de caractère, Edwardes employait une méthode aussi simple que rigoureuse. Il emmenait tout d'abord les puppies reconnaître les terrains de chasse en compagnie de deux Terriers choisis parmi les plus expérimentés. Si un jeune se faisait malmener par les vieux briscards, s'il montrait une once de timidité à leur contact, le Captain ne faisait pas de sentiment: un coup de fusil mettait fin à sa carrière. Ceux qui avaient surmonté cette première épreuve étaient entraînés à la chasse du rat. Vers l'âge de un an, un nouveau test les attendait: cette fois, l'adversaire était un putois.
Le jeune Terrier devait en premier lieu suivre la piste du dit putois à travers champs, ce qui constituait son « échauffement » ; arrivé à la fosse où était enfermé le puant, il devait, sans l'ombre d'une hésitation, y pénétrer, tous crocs découverts. Si tel n'était pas le cas, soit qu'il hésitât un instant, soit qu'il manquât d'entrain à combattre, l'issue était claire : Pan! Evidemment, cet homme aussi méthodique (et son frère, car il semble qu'ils furent deux à mener à bien cette entreprise) disposa bientôt d'une meute d'un courage vraiment inflexible. En ce qui concerne le physique de ses élèves, ses critères de sélection, qu'il jugeait moins importants, sont également connus. Ses Terriers devaient être bas sur pattes (pour être capables de suivre la loutre jusqu'au bout) et, en même temps, aussi puissants que possible, munis, bien entendu, d'une redoutable mâchoire. En outre, il les voulait revêtus d'une rude pelisse, de préférence blanche ou presque entièrement blanche, pour pouvoir suivre facilement leurs évolutions dans les épais fourrés des berges.
Les exigences d'Edwardes paraissent ainsi des plus claires. Cependant, on serait bien en peine de pouvoir mettre un nom de race sur les différents Terriers qu'il mit à contribution pour créer ce qui allait devenir le Sealyham ; on sait seulement que la chienne qui lui servit de point de départ se nommait Duck. La raison de cette incertitude est simple : à cette époque, la plupart des races de Terriers étaient encore en gestation.
On peut supputer que ceux qui lui servirent ressemblaient aux Terriers d'Ecosse, en particulier au Westie (pour la couleur blanche) et au Dandie Dinmont : comme ce dernier, le Sealyham est en effet doté d'une forte voix de basse, ce qui peut être l'indice d'une certaine proportion de hound (chien courant) dans son sang. Edwardes a pu avoir recours à une forme bassette de l'Otterhound, race avec laquelle il chassa tout d'abord, et ainsi n'eut-il peut-être pas besoin de se rendre en Ecosse pour trouver ses « ingrédients ». On a dit qu'il a utilisé le Corgi, un chien de bouvier et de ferme à pattes courtes très répandu dans le Pernbrokeshire, mais ce fait semble bien contestable. En revanche, qu'il ait recouru à quelques Bull Terriers « ancienne version » est sûrement plus probable.
La nouvelle lignée de Terriers connut bientôt une certaine renommée dans son comté, pour chasser aussi bien la loutre que le blaireau, le renard et même le chat sauvage. Le Captain offrait d'ailleurs régulièrement à ses amis fermiers et sportsmen quelques-uns de ses chiens. Mais, lorsqu'il mourut, en 1891, il n'avait pas eu la chance de voir ses efforts reconnus de façon officielle. Il n'y comptait d'ailleurs sans doute pas, et l'on s'accorde généralement à penser qu'il ne se donna jamais pour but de créer vraiment une nouvelle race de Terrier. Son travail ne fut pourtant pas vain. Ainsi, une dizaine d'années plus tard, sa belle-fille reprit son élevage. Devenue veuve, elle se remaria avec sir Victor Higgon, qui témoigna d'un vif intérêt pour ces Terriers et décida de les faire connaître. En 1903, ces chiens, tout naturellement nommés Sealyham Terriers, furent présentés à Haverfordwest. En 1908, Fred Lewis, un autre éleveur, créa le premier club destiné à promouvoir la race.
Ces efforts aboutirent donc, en 1911, à la reconnaissance officielle du Sealyham par le Kennel Club. A la fin de cette même année, les cynophiles purent voir la race concourir au Great Joint Terrier Show, qui désigna les deux premiers champions : un mâle nommé St. Bride's Demon et une femelle appelée Chawston Bess Back. Le Sealyham commençait une nouvelle carrière, celle de chien d'expositions.
C'est alors que les toiletteurs s'emparèrent de lui pour lui trouver un « look » qui mettrait en valeur la puissance compacte de la race. On lui dégagea le cou et le dessus de la tête, de façon à faire ressortir d'abondantes garnitures rendant encore plus impressionnantes ses formidables mâchoires. L'arrière-train, très puissant, fut épilé ras, en contraste avec les franges laissées aux membres et dans la partie inférieure du corps, ce qui rendait plus apparente la compacité propre à la race. Ainsi habillé, le Sealyham rencontra un beau succès dans les années vingt et trente. Mais correspondait-il toujours au type originel désiré par Edwardes? Et que devenaient ses qualités de travail?
Dès les premières années du siècle, le Sealyham se fixa également aux Etats-Unis. Dans ce pays, on préféra une hauteur au garrot légèrement inférieure : le standard indique 27 centimètres maximum. Parallèlement à sa carrière sur les benches (bancs) d'exposition, voire malgré elle, la race conserva un peu partout des amateurs pour ses grandes qualités de chasse. Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, sir Jocelyn Lucas of Ilmer l'employa en meute.
En France, il a également été apprécié comme chien de déterrage. Un spécimen de la race « s'est conduit honorablement dans les concours de déterrage de l'immédiat après-guerre et, en Dordogne, un déterreur prenait régulièrement jusqu'à une date récente avec des chiens de cette race », disait R. Depoux, un expert en la matière, en 1957.
Néanmoins, c'est en tant que chien de compagnie et de beauté qu'il est connu aujourd'hui. Très rugueux et mordant à l'origine, il est devenu depuis longtemps un vrai gentleman. Il se révèle calme, pondéré, souple de caractère, sociable. Il est sûr de lui, comme tous les Terriers, mais sans trace d'impudence. Il sait qu'il est fort, courageux (voyez d'ailleurs ses mâchoires longues et larges, très fortement armées), ce qui en fait un chien paisible, pas aboyeur. A ses moments, il peut se montrer très joueur, voire espiègle. Il a un peu le tempérament d'un grand chien, bien que son gabarit reste très raisonnable (de 8 à 9 kilos maximum, pour une hauteur de 31 centimètres au maximum). Même si son aspect est plus rustique que celui du Westie, sa mise est aussi soignée et nécessite un toilettage équivalent. Il faut souhaiter au Sealyham de voir la faveur du public se porter un peu sur lui, car il le mérite amplement. Et la personne qui aura fait ce choix ne le regrettera certainement pas. |