Le Clumber Spaniel (ou, officiellement et plus simplement, en France, le Clumber) était hautement apprécié de l'aristocratie anglaise au XVIIIe siècle, comme l'atteste un tableau de Francis Weatley datant de 1788 et représentant le deuxième duc de Newcastle, Henry Pelham Clinton, chassant à cheval en compagnie de trois Clumbers. Cette race doit d'ailleurs son nom au château de Clumber (dans le Nottingham Shire), qui appartenait aux ducs de Newcastle. Toutefois, les avis divergent sur l'histoire des Clumbers.
Selon un article du Sporting Magazine publié en 1807, c'est le duc de Noailles qui, vers 1760, aurait offert trois de ces Spaniels assez originaux à son pair anglais, lequel, séduit par ce noble cadeau, aurait à son tour installé un chenil dans sa propriété de Clumber. Cette version a reçu en 1870 la caution du grand cynologue Stonehenge. Mais, aussi sympathique soit-elle, elle n'en a pas moins laissé perplexes nombre de cynologues français, qui ont cherché en vain dans les races et types canins, aussi bien parmi ceux qui ont disparu que parmi ceux qui ont survécu, un chien français offrant quelque ressemblance avec le Clumber. Quant aux amateurs anglais, non moins perplexes, qui ont également procédé à des recherches sur les origines de ce chien, ils n'ont trouvé aucun indice de l'existence d'un élevage de chiens entrepris par le duc de Noailles. Il faut donc se demander si ce récit ne relève pas d'un genre trop souvent cultivé par l'imagination des « spécialistes canins » du passé, celui des fables et légendes.
Cette imagination s'illustre par ailleurs dans une théorie de certains cynologues britanniques : frappés par le crâne large, l'aspect massif et la forte ossature du Clumber Spaniel, ils voulurent y voir des similitudes avec une race qui commençait à être connue dans l'Angleterre du XIXe siècle, où elle fut d'abord appelée « Mastiff Alpin », et qui n'était autre que le célèbre Saint-Bernard. Mais, comme il était saugrenu de croire que l'on ait pu croiser l'énorme Saint-Bernard avec des Spaniels en vue de créer un chien de chasse, ces « spécialistes» imaginèrent que le chien de montagne devait posséder un cousin chasseur, bien massif, qu'ils baptisèrent « Epagneul Alpin ». Une race qui, faut-il le préciser, a le défaut de n'avoir jamais existé.
Plus raisonnablement, il faut se ranger à l'opinion de ceux qui, voyant dans le Clumber un chien purement britannique, suggèrent qu'il a été sélectionné à partir de divers chiens locaux. Cette thèse manque cependant d'arguments précis. Ainsi, la ligne du Clumber laisserait supposer qu'un limier corpulent ou un pesant basset ont été mis à contribution pour sa genèse ; mais alors, ces ascendants n'auraient pas transmis dans l'héritage la belle voix des chiens courants, car le Clumber chasse silencieusement.
Ce qui est certain, en tout cas, c'est que, quelles que soient ses origines, le Clumber Spaniel ne tarda pas à être adopté par la noblesse anglaise, comme en fait foi un tableau de C. Hancock daté de 1834, qui représente lord Middelton accompagné de plusieurs Clumbers, puis par la famille royale qui, du prince Albert à Edouard VIII, fit beaucoup pour sa popularité.
Le Clumber se signala aussi auprès des sportifs, par d'évidentes qualités cynégétiques. Vers 1900, on dressait ainsi de lui ce portrait flatteur : « Il appartient à l'une des variétés les plus utiles, les plus appréciées du Spaniel de chasse. Il est aussi l'un des plus anciens, le plus digne, et cependant le plus docile. Très hardi, il est très facile de caractère. » Lors du premier field-trial organisé par le Sporting Spaniel Club, en janvier 1889, à Sutton Scardscale, où toutes les variétés de Spaniels concouraient ensemble, les Clumbers arrivèrent à la deuxième et à la troisième place. Dans les dernières années du XlX" siècle, une femelle Clumber, Beechgrove Bee, conduite par Winston Smith, se fit remarquer en dominant tous les field-trials de l'époque; elle fut le premier Spaniel à être sacré champion de travail.
Vers 1910, la popularité du Clumber commença à décliner. De plus en plus, en effet, on préférait des Spaniels plus ardents et de moindre format ; qui avaient fait, il faut le dire, de gros progrès. Les fameux Cockers et Springers pointaient le bout de leur museau. Le déclin, qui semblait consommé à la fin des années trente, ne put que se confirmer pendant la dernière guerre. Déclin quantitatif, bien sûr, car l'élevage du Clumber ne connut pas d'interruption ; on remarque même ; fait assez rare pour être noté ; une absolue continuité dans certaines lignées. Ainsi, celle d'un des plus grands éleveurs du début du siècle, William Awkright, demeurant à Sutton Scardscale, est toujours poursuivie par une éleveuse au même endroit, et la plupart des Clumbers d'Europe sont d'ailleurs issus de cet élevage. Nul doute qu'on puisse affirmer, avec Paul Meunier, que « le Clumber est le Spaniel qui a subi le moins de modifications depuis sa création ».
Le Clumber était pratiquement inconnu en France, lorsque, en 1972, une femelle provenant d'Angleterre révéla la race aux exposants et amateurs de Spaniels. A partir de cette date, plusieurs sujets, importés principalement de Grande-Bretagne, sont venus former le modeste cheptel français, entretenu grâce aux quelques portées nées au cours des dernièr.es années. En essayant le Clumber en field-trial, les amateurs français ont pu vérifier à leur tour les qualités inhérentes à la race déjà reconnues par les Anglo-Saxons: nez fin, quête lente, silencieuse et méthodique.
Le Clumber Spaniel peut paraître en France un cas un peu marginal dans le monde du chien de chasse, dans la mesure où il semble surtout destiné aux passionnés de races britanniques. Ce chien n'en dispose pas moins d'indéniables qualités. Le Spaniel Club français lui décerne d'ailleurs ce beau satisfecit : « Il est sans doute le plus facile à dresser de tous les membres de la famille des Spaniels. Il n'a pas la tête dure et une fois qu'il a appris ses leçons, il s'en souvient. » Les Américains, découvrant le Clumber après la guerre, lui avaient adressés des compliments analogues: « Le Clumber est très courageux, obéissant, de bon nez, endurant et persévérant. » A vrai dire, ces qualités concernent surtout le comportement à la chasse. Or, en Europe, en Grande-Bretagne en particulier, le Clumber est devenu essentiellement un chien de compagnie. Ce chien digne, sûr de lui, à l'expression souvent dubitative, est doté d'un excellent naturel: rien ne compte plus à ses yeux que de plaire à ses maîtres et d'être un membre à part entière de sa famille humaine.
S'il aime la sieste et ne fait pas de bruit, il ne faudrait pas prendre cette discrétion pour de l'apathie ; c'est, au contraire, un chien plein de vie, remuant à ses heures, joyeux compagnon avec les familiers : prêt à toutes les pitreries pour séduire son entourage, cet habitué de la « high society » et des grandes propriétés anglaises, loin d'être maniéré, est irrésistible lorsque, abandonnant son air pensif, il se met à faire le clown. En revanche, il accueille les inconnus avec retenue et n'accorde pas son amitié au premier venu sans être pour autant agressif. Sociable avec les autres chiens, aimant beaucoup les enfants, il fait partie des chiens de chasse qui s'adaptent parfaitement à la douce oisiveté du chien de maison.
Ne faut-il donc parler de son rôle traditionnel de chasseur que pour mémoire? Ce n'est certes pas par hasard si ce lent et calme Spaniel a été supplanté par des cousins plus rapides et plus actifs, adaptés aux nécessités de la chasse moderne. Chez nous, les Braques de pays et les lourds Épagneuls chassant sous le fusil ont de la même façon été délaissés depuis longtemps. Cependant, si on le ramène sur son terrain de chasse, le Clumber Spaniel se montre toujours un broussailleur efficace, qui peut être employé avec succès sur les territoires les plus touffus ; sous-bois, bocage dense ; où sa persévérance et sa méthode, alliées à un excellent flair et à une bonne endurance, seront appréciées.
Ce chasseur obstiné et résistant aime aussi l'eau, et ses talents pour la recherche et le rapport du gibier, qui font merveille pour le gibier à poil, peuvent s'appliquer aussi aux canards, faisans et bécasses. L'entretien de son pelage s'apparente à celui du Springer. Il est moins sujet que le Cocker aux maux d'oreilles, car il a des oreilles moins longues et moins chargées en poil. On doit en revanche surveiller ses yeux, assez sensibles du fait de la conjonctive apparente: un nettoyage régulier avec du sérum physiologique est une précaution nécessaire. |