Selon l'opinion de la plupart des auteurs spécialisés en cynologie, le Griffon Fauve de Bretagne, de même que le Saint-Hubert, le Grand Chien Blanc du Roy et le Gris de Saint-Louis, est l'une des quatre races qui auraient donné naissance à tous les chiens courants français. De fait, Jacques du Fouilloux en parle abondamment dans son traité La Vénerie, publié en 1573, et il indique qu'il s'agit de « chiens antiques » mentionnés pour la première fois dans un manuscrit relatant les exploits du seigneur Huet des Ventes, où l'on peut lire : « Tes chiens fauves, Huet, par les forestz prennent à force cheureulx, biches et cerfz Toy par futstayes emporte sur tout priz de bien parler aux chiens en plaisans cris. »
Jacques du Fouilloux avait raison de juger que ce texte était ancien, car cela se trouve bien confirmé par l'orthographe utilisée. L'auteur raconte aussi l'histoire d'un seigneur de Lamballe, qui, avec des chiens fauves, attaqua un cerf dans une forêt du comté de Painctieure (le Penthièvre, dans les Côtes-du-Nord) et réussit à le prendre après quatre jours de chasse, aux environs de Paris (il ne s'agit pas de prétendre que les chiens du dit seigneur, dont le nom ne nous pas été livré, n'aient fait le change durant ces quatre jours l). Toujours est-il que les Fauves constituèrent le fond des meutes des ducs et seigneurs de Bretagne.
C'est donc avant la seconde moitié du XVIe siècle, puisque du Fouilloux en parle si longuement, que ce sang aurait été introduit dans les meutes qu'utilisait le roi de France : sans doute à la suite du rattachement du duché à la France, qui eut lieu avec les mariages de la duchesse Anne avec Charles VIII (en 1491), puis avec Louis XII (en 1499). François Ier, qui succéda à Louis XII en 1515, employait déjà les Fauves avec ardeur. A cette même époque, la famille de l'amiral d'Annebauld, qui ne semble être passée à la postérité que sous la plume de Jacques du Fouilloux, avait conservé une souche très pure de la race.
Dans les années 1850 - 1860, Charles de Saint-Prix chassait encore le loup en basse Bretagne avec une meute de Fauves qui firent l'admiration du veneur anglais E. W. Davies, en séjour dans la région de Carhaix durant les hivers de 1855 et 1856. En 1860, il restait à Charles de Saint-Prix une vingtaine de Griffons mâtinés de sang vendéen, mais ces chiens étaient « intraitables et ne pouvaient servir que pour chasser le loup. » Cet animal devenant rare en Bretagne ; le dernier y fut tué en 1895, dans le Finistère ; M. de Saint-Prix vendit alors ses chiens à M. Madec de Parceveaux, qui chassait dans la région de Quimper. Et, peut-être, certaines de ses lices avaient-elles reçu du sang anglais de Lanharran ou de Warrior, les deux étalons que lui avait offerts M. Davies?
Au même moment, Henri de Mauduit regrettait, dans les correspondances qu'il adressait à ses amis, de n'avoir pas su conserver dans sa meute la pureté du sang de ce qui était l'une des quatre races royales, et cela confirme bien que le Fauve de Bretagne périclitait déjà.
Ensuite, le Fauve de Bretagne est progressivement tombé dans un certain oubli. Le Couteulx de Canteleu, au tournant du siècle, ne lui consacre que douze lignes contre trois pages et demie pour le Saint-Hubert, et il faut se demander, à la lecture de ce passage, si ce spécialiste savait encore où trouver les chiens bretons. On notera cependant que, depuis, les Fauves de Bretagne, à la suite de croisements divers, ont « éclaté », donnant naissance à deux variétés, les Briquets et les Bassets, ces derniers étant les plus répandus.
Quant au Griffon, il est effectivement devenu très rare dans la première moitié du XXe siècle, mais, grâce à quelques éleveurs, dont Marcel Pambrun, qui fut le président du Club du Fauve de Bretagne avant M. Vallée, la race est aujourd'hui fermement réimplantée en France, comme le montrent les estimations du président actuel : le nombre des naissances serait d'environ 300 par an, et il s'agit bien sûr de chiots de pure race.
Comme tous les Griffons, le Fauve de Bretagne est un chien très rustique, idéal pour chasser dans les landes épaisses et remplies d'ajoncs. Et, pour le Couteulx de Canteleu, qui n'aimait pas cette race ou qui la connaissait mal, il s'agit d'un chien très entreprenant, robuste de constitution, brave et intrépide et assez fin de nez, mais qui n'est guère persévérant dès lors que la chasse présente une quelconque difficulté.
Pourtant, cette opinion n'est pas celle du veneur anglais M. Davies lorsqu'il fait remarquer que ce chien est grand, puissant, à poil fort, bien gorgé et ayant beaucoup de fond, et qu'il ajoute, suivant en cela les propos d'un bon veneur anglais : « Cependant, malgré ces caractères anciens et l'absence totale de sang de Fox-Hound dans leurs veines, je ne pense pas avoir vu dans ma vie un train plus sévère. " C'était à l'époque où, selon M. Davies, les derniers loups de Bretagne regardaient encore les chasseurs « avec des yeux sauvages », depuis le haut des talus qui bordaient les chemins bretons, n'attendant que le moment où un cheval buterait et tomberait pour se précipiter sur lui comme sur son cavalier. Et il est vrai que les Fauves de Bretagne se sont toujours montrés excellents pour forcer cet animal, dont la réputation était si mauvaise : nombre de chiens ont d'ailleurs laissé leur vie lors de quelque hallalli difficile. En outre, il n'est pas impossible qu'un peu de sang de loup ne soit entré dans la lignée de la race, ne serait-ce que parce que le comte de Kergoorlas, ami de Charles de Saint-Prix, « fortifiait » sa meute avec de telles infusions.
Quoi qu'il en soit, les Fauves de Bretagne sont d'excellents chasseurs: il y a quelques dizaines d'années, M. Pambrun possédait un Griffon Fauve de Bretagne qui était capable de forcer seul un sanglier de 40 kilos, et il en contait parfois l'histoire. Tayaut, puisque tel était le nom de ce chien, avait appartenu à un marin pêcheur qui, avec tous les risques que cela comportait à l'époque, était parti à Terre-Neuve. Le malheureux homme disparut en mer, laissant Tayaut à sa veuve qui accepta de le vendre à M. Pambrun. Au début, disait encore ce dernier, il fallut nourrir le chien à l'aide d'une fourche, tant il refusait de se retrouver captif, et, lorsqu'on le lâchait, on le voyait parfois revenir avec un lièvre, qu'il avait pris seul.
Le Fauve de Bretagne reste donc un chien exceptionnel, et l'on ne peut que se réjouir de constater que les éleveurs actuels ont sauvé la race, peut-être même en améliorant sa qualité. Pourquoi pas grâce à Tayaut? Aujourd'hui, ce chien chasse aussi bien le renard que le lièvre, le chevreuil ou le sanglier. |