Les chiens d'eau, créés pour chasser dans les marais, sont-ils condamnés à disparaître? Il y a tout lieu de se poser la question avec inquiétude, car, des quelques races ayant cette spécialité ; l'une des plus exigeantes ; aucune ne peut se vanter d'avoir une position confortable. Parmi elles, l'Epagneul de Pont-Audemer est sans doute aujourd'hui la race la plus menacée, apparaissant même en réel danger d'extinction.
Marais, tourbières et bords de mer furent jusqu'au XlXe siècle de véritables paradis pour les chasseurs, mais ces terrains se sont progressivement restreints, surtout en raison de l'assèchement de nombreux marais afin d'accroître la surface de terre arable. La raréfaction de ces zones si riches en faune et flore recherchées a ensuite provoqué la mise en place de mesures de protection de la nature qui ont amoindri d'autant les possibilités de chasse. C'est ainsi que furent créées des réserves, notamment ornithologiques, compte tenu du passage régulier de nombreux oiseaux migrateurs qui y trouvent un abri. Aujourd'hui, les zones marécageuses où la chasse est encore autorisée sont donc très réduites, et cette évolution n'est sans doute pas terminée.
Au XlXe siècle, les marais des régions côtières de la Manche attiraient beaucoup les chasseurs fortunés d'Angleterre, car la mise en culture et l'industrialisation de leur pays avaient déjà atteint leur terme. Jusqu'en 1901, date où fut instituée la quarantaine, ils venaient périodiquement sur les côtes françaises en compagnie de leurs chiens spécialisés, les English Water Spaniels et les Irish Water Spaniels.
Les sauvaginiers normands ne manquèrent pas de remarquer les nombreuses qualités de ces races, et ils s'en servirent pour améliorer l'Epagneul local, un chien qui ressemblait à l'Epagneul Français, mais en plus petit et plus compact. Ce genre de chien était répandu en haute Bretagne et dans toute la basse Normandie, alors que l'aire de diffusion des ancêtres de l'Epagneul Picard s'étendait jusqu'en haute Normandie. Les points communs entre tous ces chiens étaient notamment leur vivacité et leur taille moyenne.
Selon l'avis de certains, l'Epagneul de Pont-Audemer serait donc un chien franco-britannique. D'autres ont prétendu qu'il serait plutôt de même souche que les Spaniels d'eau britanniques, mais l'hypothèse est aussi séduisante que hasardeuse, et R. Gréaume, l'ancien président du Club de la race, l'a d'ailleurs réfutée: « Il descend de l'Irish Water Spaniel, ce qui n'est ni contesté, ni contestable. »
De toute évidence, le Pont-Audemer existait, en petit nombre certes, au XIXe siècle. En 1886, la Société canine havraise entreprit de le sélectionner et c'est à ce moment qu'il sortit de son terroir pour être remarqué par des spécialistes qui commencèrent à faire grand cas de ses qualités. Il semble que la race ait été l'objet de divers croisements àla fin du siècle et qu'elle ait été alors quelque peu négligée.
Selon Paul Mégnin, « le Pont-Audemer serait en première place, si l'on savait, chez nous, l'apprécier à sa juste valeur ». La race suscita l'enthousiasme de P. Bellecroix, pourtant grand admirateur des chiens britanniques : « Plus rustique, plus rigoureux, plus ardent que l'Epagneul Français, le Pont-Audemer possède les mêmes qualités: l'intelligence, la souplesse, la douceur. Tous deux sont également bon enfant, très faciles à manier. La quête du chien normand est plus vive, plus soutenue que celle du Français; il arrête bien également. Pour la chasse à l'eau, je préfère le premier à son rival; dans les marais herbeux où il faut qu'un chien déploie beaucoup plus de force et de fond, j'ai vu le second faiblir, le Pont-Audemer jamais. C'est aussi un excellent chien de fourré brousailleur, d'une intelligente activité qui m'a été souvent précieuse. J'ai vu quelques Pont-Audemer qui auraient pu rivaliser avec le Cocker le plus ardent. Cet excellent chien représente, à mon avis, une de nos races les plus précieuses. C'est peut-être celle dont l'emploi pourrait être le plus généralisé. C'est celle dont je regretterais le plus la perte. »
En dépit de tous les superlatifs qui la qualifient, la race ne se diffusa pas également dans l'Hexagone, puisqu'elle ne fut vraiment présente que dans la partie nord-ouest du pays. Après la Première Guerre mondiale, les effectifs commencèrent même à, se restreindre, et, en 1945, il ne restait plus de l'Epagneul de Pont-Audemer que de rares survivants. Il fallut alors procéder à une retrempe avec l'Irish Water Spaniel pour éviter sa disparition, et un regain d'intérêt pour la race fut d'ailleurs constaté, mais cette nouvelle expansion ne semble pas avoir perduré, car, en 1981, le Club de J'Epagneul de Pont-Audemer a dû se rattacher à celui de l'Epagneul Picard en raison du trop faible nombre de naissances.
Voici donc une race qui, malgré les efforts des amateurs, n'a jamais pu s'imposer chez les chasseurs français, probablement parce que l'on n'avait pas fait assez de publicité à son propos. Pourtant, les meilleurs auteurs n'ont pas manqué de louer le Pont-Audemer en précisant que sa spécialisation originelle de chien d'eau n'empêchait pas ses réelles qualités de chien d'arrêt polyvalent. D'autre part, de nombreux articles rappellent depuis plusieurs années la situation critique de la race, plusieurs fois menacée d'extinction définitive. Mais rien n'y fait, et force est de constater que les Français pourraient avoir à regretter leur négligence à l'égard du Pont-Audemer.
Le Pont-Audemer n'est ni un chien mou ou lymphatique, ni un chien dont l'influx nerveux serait à fleur de peau. Il n'est donc pas difficile à manier et il convient à une grande majorité de chasseurs. De même, il s'adapte à toutes sortes de terrains. En effet, le chien spécialisé pour le travail à l'eau a besoin d'une grande résistance et de beaucoup d'énergie pour faire un bon auxiliaire dans les marais. Et l'on sait bien que la nage est pour un chien plus fatigante que la quête sur terre. Qui peut le plus peut le moins, et l'Epagneul normand fait preuve de capacités rarement égalées pour chasser par les temps les plus froids, les plus humides. Grâce à son poil gras, il n'est jamais « mouillé jusqu'aux os ». Le Pont-Audemer possède encore un arrêt assez ferme, « très ferme », disait Paul Mégnin, d'indéniables dons de retriever ainsi qu'un tempérament de broussailleur imbattable, car il n'est jamais rebuté devant un fourré.
Par ailleurs, son aspect ne manque pas d'originalité : sa tête, surmontée d'une houppe de poils frisés, tout aussi frisés que ceux de ses oreilles, lui donne fière allure. On le dirait coiffé d'une perruque grand siècle qui fait le plus bel effet. Il ne passe pas inaperçu, bien qu'il ne soit pas un chien sophistiqué, car, comme tout Epagneul, c'est un chien rustique. La douceur du Pont-Audemer en fait un excellent chien de maison, rôle dans lequel il peut aisément remplacer un Grand Caniche. Affectueux, patient, même avec les enfants, il sait aussi défendre « sa » famille, sans pourtant aboyer outre mesure ou avec hargne.
Ne serait-ce que pour ses qualités de chien de compagnie, il mériterait une place plus enviable. Devant la menace qui pèse sur le destin de l'Epagneul de Pont-Audemer, le Club de la race préconise de faire mieux connaître ses qualités de chasse dans les épreuves de travail pour lesquelles il est fait : les field-trials de gibier tiré et les TAN (tests d'aptitudes naturelles). D'ailleurs, en 1987 et en 1988, quelques sujets s'y sont essayés et se sont très bien comportés. |