Pourquoi s'appellent-ils Porcelaines? Si les avis diffèrent sur ce sujet, l'hypothèse la plus probable est que, juste avant la Révolution, les veneurs considéraient ces chiens comme tellement fragiles qu'ils leur avaient donné ce surnom.
La première mention de ces chiens dont on puisse être sûr, dans la littérature, est due au marquis de Foudras, le père de l'auteur cynégétique bien connu. En 1779, Foudras faisait partie des officiers de la gendarmerie de Lunéville, et, avec quelques-uns de ses collègues, il décida de former une série d'équipages pour chasser les divers gibiers que l'on pouvait trouver dans la région: loup, cerf, chevreuil, sanglier, lièvre... Ainsi, M. de Foudras apporta sa meute qui était dans la voie du sanglier, et M. de Choiseul fut chargé du lièvre. Pour cela, ce dernier fit venir de Suisse soixante chiens blanc et orange (selon les dires de Foudras, relatés par son fils dans Les Gentilshommes chasseurs). Ces sujets constituent sans doute l'origine de la race qu'on a appelée Chien de Lunéville, Chien de Franche-Comté, puis Porcelaine.
L'association d'équipages fut bientôt inaugurée. Tout commença par un somptueux déjeuner offert par le maréchal de Castries qui commandait la gendarmerie (à l'époque, les officiers de cette arme étaient recrutés parmi les plus nobles gentilshommes du royaume). A la sortie du repas, il restait tout juste le temps de forcer un lièvre. On décida donc de découpler les Porcelaines de Choiseul. Foudras, cependant, se montrait sceptique sur les capacités de ces chiens : « Chacun de nous trouvait ces petites bêtes ravissantes, mais les hommes du métier avaient quelques doutes sur leurs mérites sérieux, et on se demandait avec inquiétude comment ces oreilles de velours pourraient affronter les ronces des taillis, et comment ces pattes, transparentes à force d'être fines, se tireraient d'affaire dans la boue où elles entreraient comme des dagues, et dans les pierres où elles se briseraient comme du verre. »
Pourtant, on mit les chiens à la voie dans un bois tellement fourré que les piqueurs ne pouvaient même pas y pénétrer, ce qui n'empêcha pas les fragiles Porcelaines d'y rentrer sans la moindre peine, d'y lever un lièvre, et de le prendre en une heure et demie de chasse pratiquement sans défaut. Il paraît que l'affaire fit bruit jusqu'à Versailles, et que Louis XVI en fit quérir un couple pour remonter ses propres meutes.
Quelle était l'origine des chiens que M. de Choiseul fit venir de Suisse? Le docteur Guillet la fait remonter au croisement entre le célèbre Chien blanc de Saint-Hubert nommé Souillard et une Braque d'Italie nommée Baude qui appartenait à Anne de Beaujeu, duchesse de Bourbon. Leurs descendants furent appelés « greffiers », pour avoir été la propriété d'un secrétaire de Louis XII; le premier avait une livrée immaculée, avec simplement une tache jaune à l'épaule. Ils devinrent les Chiens Blancs du Roy.
Mais combien de races n'attribue-t-on pas à Souillard, à Baude et aux greffiers! Deux siècles et demi se sont écoulés entre la disparition de Louis XII et les chasses de la gendarmerie de Lunéville. Les grands Chiens Blancs du Roy ont sans doute été utilisés pour bien des croisements, mais, en ce qui concerne les chiens acquis par M. de Choiseul, leur paternité n'est qu'hypothétique.
La suite de l'histoire des chiens que l'on appelait alors Chiens de Franche-Comté ou Chiens de Lunéville est plus claire. Le corps de gendarmerie du maréchal de Castries fut dissous en 1784. On retrouve alors des Porcelaines à l'abbaye de Cluny, puis à celle de Luxeuil, et c'est sans doute ce qui a permis à la race de traverser la sombre période de la Révolution. En effet, le dernier abbé de Luxeuil, Mgr de Clermont-Tonnerre, donna un lot de chiens à un brave médecin, le docteur Coillot, en remerciement des soins qu'il lui avait prodigués. Le docteur eut la chance de pouvoir conserver ses chiens aux pires moments de la Terreur. D'autres éleveurs, tels MM. Micaut et Monnot, de Besançon, ou Martial, de Rang, avaient également récupéré des souches provenant de l'abbaye de Cluny.
Par la suite, les descendants du docteur Coillot parvinrent à maintenir la race avec beaucoup de constance, après que les chiens eurent fait un séjour chez un certain M. Rosne. C'est ainsi que le petit-fils du docteur, M. Daubigné, récupéra Termino et la lice Cléo et que, à partir de ce couple, il monta une meute qui fut célèbre entre 1865 et 1896.
Depuis, les Porcelaines ont connu quelques problèmes du fait de la consanguinité. Aux chiens originaires des abbayes de Luxeuil et de Cluny furent donc apportés du sang Harrier et du sang Billy (cette dernière race ayant sans doute quelque ascendance commune avec les Chiens de Lunéville). Toujours est-il que, dans l'annuaire de vénerie de 1975, cet éminent cynophile qu'était le docteur Guillet précisait, au chapitre « Porcelaine » : « A leur sujet comme en tout autre cas, n'oublions pas que la race pure n'existe pas et qu'elle ne peut que desservir les utopistes qui la défendent. Une race qui n'évolue pas est une race qui se meurt. »
Les Porcelaines ont donc été créés essentiellement pour chasser le lièvre. Mais certains équipages les ont mis aussi dans la voie du chevreuil, voire du sanglier. En effet, malgré leur apparente délicatesse, ces chiens n'hésitent pas à faire face à un « cochon » tenant le ferme. Le Couteulx de Canteleu, autre auteur célèbre en matière de chiens courants, les décrit parfaitement: « Ces chiens sont assez faciles à mener, et se créancent assez bien. Assez ardents à la chasse, mais sans être trop ambitieux ou trop emportés, ils ne manquent pas de pied, et comme ils ont un nez exquis pour lequel il n'y a guère de mauvais temps, et que d'ailleurs ils aiment peu la voie du renard, ces charmants chiens, vrais spécimens de chiens de lièvre, méritent d'être spécialement choisis comme le chien d'Artois pour en former des meutes. Ils aiment aussi beaucoup la voie du chevreuil. » Les Porcelaines apparaissent ainsi assez proches des Pointers Blanc et Orange et des chiens de Saint-Germain.
Finesse de nez et ténacité sont donc les principales qualités de cette race qui connaît un renouveau certain dans bien des équipages français. Le croisement avec des Harriers du Somerset, effectué par des veneurs de l'ouest de la France, semble lui avoir donné plus de train, puisque c'est lui qui a permis de constituer avec des Porcelaines des équipages de chevreuil, voire de cerf. Mais, lorsqu'on considère le cas du rallye La Luque, qui, vers 1975, découplait dans la voie du lièvre une meute composée à la fois de Porcelaines, de Français Blanc et Orange et de Billys, on conçoit que les juges éprouvent quelque difficulté, dans les concours, lorsqu'il leur faut déterminer le chien (ou le lot de chiens) qui sera classé pur Porcelaine!
Cette situation n'est pas nouvelle. Dès 1923, en effet, le docteur Castets écrivait dans son traité sur les descendants des Chiens Blancs du Roy : « Il existe un certain nombre d'équipages de Porcelaines chassant le lièvre avec succès. Mais la vérité nous oblige à dire que ces meutes ne sont pas absolument de pur sang. Ce sont, que l'on nous passe l'expression, des Porcelaines améliorés, des Porcelaines qui ont dans leurs ascendants un croisement (avec le Poitevin ou l'Anglais par exemple). »
Castets cite aussi le cas d'un ami qui, ayant voulu conserver des Porcelaines absolument purs, manquait régulièrement ses animaux, ses chiens n'ayant pas un fond suffisant pour chasser dans des terrains difficiles. Les Chiens de Lunéville que décrivait Foudras semblent bien loin! Il est probable que l'excès de consanguinité entre les chiens ayant transité par les abbayes de Cluny et de Luxeuil a affaibli la race.
Pourtant, les Porcelaines avaient fait souche bien au-delà des frontières de la Franche-Comté. Le vicomte de Lorgeril, par exemple, les avait introduits pour chasser le lièvre en Bretagne, et, plus récemment, un très beau lot de ces chiens a été remarqué dans l'équipage Bouquin Berrichon, au comte B. de Voguë.
Pour terminer, il faut citer Albert Favre qui, dans les années cinquante, fait la différence entre le Porcelaine franc-comtois et le Porcelaine suisse, plus petit. Favre s'appuie sur cette distinction pour mettre en doute la thèse de Foudras, mais sans utiliser d'argument véritablement convaincant. Il précise toutefois que l'ossature des chiens suisses était trop légère, et que leur poil était si fin qu'il paraissait transparent quand il était mouillé. Cela peut expliquer que nombre de veneurs aient cru bon de renforcer la race par des croisements divers. |