Ne sous-estimez pas votre chien

Bien éduqués, bien dans leurs poils

Durant des années, on a dénié au chien, et aux animaux en général, toute intelligence et tout sentiment. Le cartésianisme, cher aux peuples francophones, estimait que l’animal n’était qu’une machine. On l’usait jusqu’à la corde, puis on l’envoyait, sans scrupules, à l’équarrissage. Le béhaviorisme a, de façon plus «soft», pris la relève.

La douleur

Les animaux n’ayant pas la parole, les scientifiques ont déclaré durant des années qu’ils ne ressentaient pas la douleur. D’ailleurs, certains le disent encore, même si on sait qu’anatomiquement et physiologiquement, les animaux – surtout les mammifères – sont très proches de nous. Il suffit de disséquer un chat ou un chien, et un être humain, pour s’en apercevoir. Je m’en suis rendu compte moi-même. Il n’y a pas si longtemps que l’expérimentation animale se faisait encore à vif, sans aucune anesthésie. On disait aux étudiants que la manifestation de la douleur chez le chien, par exemple, n’était qu’un réflexe.
Le bébé, qui n’a pas la parole non plus, n’était pas censé éprouver de la douleur jusqu’à encore récemment. Les médecins ne donnaient pas d’analgésiques aux jeunes enfants qui souffraient d’une grave maladie ou après une intervention chirurgicale, parce qu’ils ne se plaignaient pas! Il en était de même en médecine vétérinaire.
Actuellement, pratiquement tout le monde admet que le chien et les autres animaux peuvent souffrir, mais l’intelligence et les sentiments, c’est autre chose. Beaucoup de personnes sont anti-évolutioniste et pensent toujours que l’être humain est le produit final, le nec plus ultra de la création, tout en haut d’une pyramide ou d’une tour!
Bien entendu, l’Homme ne désire pas voir d’autres créatures le rejoindre sur son perchoir ou même s’en approcher!
Mais, comme le dit Boris Cyrulnik, psychiatre, éthologiste et psychanalyste: «Le chien a les capacité de penser et d’éprouver; il n’y a pas de coupure entre l’homme et l’animal.»

Le comportement et son étude

Le Dr Bruce Fogle dit que la raison pour laquelle il est si difficile de comprendre le chien est qu’il est très proche de nous. Nous sommes les deux des animaux sociaux.
Stephen Jay Gould, qui a beaucoup travaillé sur la néotonie, a écrit que l’homme est un singe «néotonisé», c’est-à-dire un singe qui, à l’âge adulte, a conservé des caractéristiques juvéniles, physiques ou psychiques. Selon Gould, cela aurait sauvegardé notre espèce au cours des années. La plupart des chiens exhibent des caractéristiques de néotonie aussi: le museau court, les oreilles tombantes, le jeu à l’âge adulte, l’exploration du territoire et l’obéissance à un meneur. Le chien exprime sa néotonie en jouant à la balle ou à la corde à noeuds. Et nous, c’est le foot, le vélo, la pétanque, etc. J’allais presque oublier l’Agility!
Que cela concerne le psychisme ou l’intelligence, les comportementalistes (synonyme: béhavioristes) sont en grande partie responsables de la sous-estimation des animaux. Mais qu’est-ce que le comportementalisme?
Le comportementalisme/béhaviorisme et ses «ancêtres»
– Pavlov: le Conditionnement pavlo-vien classique
Cela concerne les travaux du physiologiste russe connu de tous, Pavlov (1849-1936), Prix Nobel en 1904 pour ses recherches sur le fonctionnement des glandes digestives. Au cours de ces travaux, il s’intéressa à la sécrétion dite psychique. Sa notion de base était celle du réflexe, qu’il définit ainsi: «Toute activité de l’organisme est une réponse, régie par des lois, à l’action d’un agent déterminé du monde extérieur». Aujourd’hui, on parle de «réaction».
Pavlov a étudié la réaction salivaire chez le chien, dont voici un bref résumé: le chien salive quand on met de la poudre de viande dans sa gueule. On active une sonnerie une seconde après. Finalement, quand on active la sonnerie seule, le chien salive. L’action de la sonnerie s’est substituée à celle de la poudre de viande. C’est ce qu’on appelle conditionnement pavlovien classique.
– John B. Watson & Burrhus F. Skinner: le Conditionnement instrumental Ces deux psychologues ont eu des prédécesseurs, comme Thorndike, qui a fait du dressage, et Miller & Konorski, qui ont découvert en 1928 que la réaction motrice d’un animal tend à se répéter si elle conduit à une satisfaction et, au contraire, elle tend à être évitée si elle conduit à une situation pénible ou désagréable pour l’organisme. C’est une vérité de La Palice!
Celui dont on parle le plus est Skinner (né en 1904), mais dans tous les livres d’introduction à la psychologie, on décrit l’expérience de Watson (1878-1958) avec le jeune enfant et le lapin blanc. Watson avait mis un lapin blanc avec un enfant de 2-3 ans qui le caressait. Puis, chaque fois que l’enfant touchait le lapin, il y associait un bruit très fort, qui lui faisait peur. Pour finir, la vue seule de l’animal terrorisait l’enfant, qui développa une phobie aux lapins blancs, puis à d’autres «poilus». Il fut éventuellement déconditionné! Watson est à l’origine du béhaviorisme.

Skinner: le Conditionnement instrumental

Voulant promouvoir la psychologie au rang de science objective, Skinner lui assigna un modèle biologique, et le comportement comme objet d’étude. Selon les béhavioristes, tout type de comportement peut être ramené à des relations Stimulus ½ Réponses élémentaires.
L’expérience bien connue de Skinner est de mettre un rat affamé dans une boîte isolée de stimulations de l’extérieur. Dans la boîte, il y a un levier pouvant actionner l’arrivée de nourriture dans une mangeoire dans la paroi de la boîte. Au début, le rat ne sait rien, mais en explorant son environnement, il appuie, par hasard, sur le levier et reçoit alors de la nourriture. Donc, il y a un renforcement positif. Finalement, le rat appuie à dessein sur le levier, sans arrêt, afin de recevoir les granulés. La réaction est conditionnée.
La différence entre les deux conditionnements est que dans le conditionnement instrumental, le renforcement dépend de l’exécution de la réponse, alors que dans le conditionnement pavlovien classique, ce renforcement est donné dans tous les cas. Bien entendu, l’état de faim ou de satiété de l’animal joue un rôle dans le conditionnement instrumental.

Karen Prior («Don’t Shoot the Dog»), qui a travaillé avec des dauphins et d’autres animaux et qui a fait connaître le «clicker training», nous donne ces définitions:

« Le renforcement positif» est n’importe quoi, qui, conjointement avec une action, a tendance à augmenter la probabilité d’une répétition de l’action en question. « Le renforcement positif» est quelque chose que l’on veut, comme de la nourriture, un encouragement verbal, une caresse, etc.
« Le renforcement négatif» est quelque chose que l’on veut éviter. Si le renforcement arrive trop tôt ou trop tard, cela ne donnera pas le résultat escompté.

L’éthologie moderne

Konrad Lorenz en est l’un des fondateurs. Né en 1903, il est un contemporain de Skinner, né en 1904. Il était l’un des fondateurs avec Nikko Tinbergen, un Néerlandais. Tinbergen et lui obtinrent le Prix Nobel en 1973. Lorenz a approfondi la notion d’empreinte et travaillé sur les aspects innés et acquis du comportement. Contrairement aux comportementalistes qui restent dans leurs laboratoires, cabinets en vase clos, en chambre, les éthologistes étudient les animaux dans leur milieu naturel, sans leur envoyer des décharges électriques ou des granulés!
Konrad Lorenz a écrit plusieurs ouvrages, dont «Man meets Dog» et «King Solomon’s Ring» réunis en français sous le titre: «Il parlait avec les Mammifères, les Oiseaux et les Poissons».
Scientifique de renom, Lorenz ne craignait pas de faire du sentiment. Bruce Fogle, le vétérinaire-comportementaliste britannique, s’est un jour étonné qu’il attribue des sentiments, tels que l’amour, aux chiens! Il cite Lorenz qui, dans son livre, écrit: «Tout chien qui a un jour suivi son maître, lui donne une quantité d’amour et de fidélité impossible à mesurer.»
Les béhavioristes occidentaux ont une approche des animaux sans jugement: ils n’ont jamais interprété ce qu’un animal ressent ou pensent et se contentent de décrire ce qui arrive. Par contre, influencés par les travaux de Lorenz, les Japonais étudient les animaux avec une approche «Kyokan», voulant dire qu’ils ressentent de l’empathie et de la compréhension pour eux, d’où les critiques «d’anthropomorphisme» de la part des Occidentaux. A partir des années 1970, beaucoup de scientifiques occidentaux se sont rangés dans le camp japonais, ce qui n’empêche pas les critiques de leurs collègues. Par exemple, le primatologue Frans De Waal a été accusé «d’anthropomorphisme» parce qu’il a parlé de «réconciliation» par rapport aux chimpanzés!
Même dans le public, il existe la crainte de faire de l’anthropomorphisme! Par exemple, j’entendais dernièrement à la radio une écuyère qui fait des numéros de danse avec six chevaux. Elle parlait d’un dénommé «Raspoutine», un cheval qu’elle a récemment perdu à l’âge de 18 ans, et qu’elle a aimé par-dessus tout. A la question de la journaliste: «Est-ce qu’il vous aimait aussi?», elle a répondu, un peu embarrassée: «J’aime pas faire de l’anthropomorphisme!»
Et en apprenant que Freud et la princesse Marie Bonaparte avaient collaboré à l’écriture d’un livre sur le chien de Bonaparte («Topsy, le chow-chow au poil d’or»), le journaliste, qui parlait de Marie Bonaparte, était très ennuyé de parler de l’intérêt que deux psychanalystes manifestaient à un chien. Il en avait presque honte pour Freud et Marie Bonaparte!
Le comble de l’incompréhension et du manque d’empathie chez des êtres humains concerne une histoire authentique d’éléphants, qui a eu lieu dans un «Parc safari» en plein été: une femelle éléphant mourut subitement et, de crainte que la cause ne fût un virus qui attaque le myocarde, on décida de pratiquer une autopsie sur place. L’éléphant pesait 3000 kilos, la tête seule faisant 800 kilos. Ils firent l’autopsie dans l’abri où elle était morte. Comme il y avait des morceaux un peu partout, le propriétaire du parc décida de demander au compagnon de la femelle autopsiée de les transporter ailleurs. Entre autres, il y avait la tête. Le mâle fit ce qu’on lui demanda, mais selon le pathologiste, il semblait en «grande détresse». Son dresseur lui ouvrit la porte et il se sauva dans la nature, pressant sa tête sur le sol et trompétant. Il ne bougea plus jusqu’à ce que son dresseur alla lui parler et le caressa longuement. Encore une fois, cela montre que l’être humain en général, est incapable de prêter des sentiments aux animaux et, conséquemment, leur manifeste de l’insensibilité.
Michel Chanton, l’éthologiste, note qu’il y a beaucoup d’incompréhension entre le chien et son maître. En d’autres termes, le message ne passe pas! Il déplore que les vétérinaires-comportementalistes tentent de résoudre les problèmes entre un chien et sa famille humaine en lui faisant systématiquement ingurgiter des psychotropes. Selon lui, le maître devrait se poser la question: «Est-ce que le chien a bien compris le message transmis?»
Cela me fait penser à ma chienne, qui devait prendre la position couchée à distance (elle était assise). J’ai dit: «Banzaï... Terre!» Et juste après son prénom, elle s’est mise en route pour venir au pied. Son éducateur m’a fait justement remarquer que trop de temps s’était écoulé entre le prénom et le «Terre». Cela a été rectifié et elle s’est tout de suite mise «Terre». C’est anodin, mais cela démontre les erreurs que l’on peut commettre avec son chien. Et le plus souvent, on blâme le chien au lieu de soi-même.

La psychologie du chien: travaux récents

L’intelligence est la capacité de tirer profit des expériences passées, afin de s’adapter à une nouvelle situation.
Beaucoup de nos contemporains se posent encore la question: les animaux (dont le chien) sont-ils «intelligents»? Pourtant, on entend couramment les scientifiques parler de «l’intelligence» des robots!
Un article a récemment paru dans «Cerveau et Psychologie», sur «La Psychologie du Chien». L’auteur, Klaus Wilheim, biologiste et journaliste scientifique, se base sur des travaux en psychologie canine par des spécialistes hongrois, suédois, allemands et américains, pour remettre en question l’idée des comportementalistes que le comportement canin n’est que du conditionnement et non de l’intelligence. Selon de récentes découvertes, on sait que les loups furent domestiqués il y a environ 15000 ans, par les ancêtres des Chinois. On a étudié le patrimoine génétique (fragment d’ADN mitochondrial) d’un certain nombre de chiens et de loups. Tous les changements de cet ADN sont dus à des mutations aléatoires. D’après ces études, l’ensemble de la population canine serait issu d’au moins cinq louves, et 95% de tous nos chiens seraient issus de trois lignées. Les hommes préhistoriques en Chine capturèrent donc des loups et ne gardèrent de leurs descendants que les jeunes pouvant facilement interagir avec eux, les plus intelligents. Ainsi, les chiens auraient de nombreuses qualités intellectuelles et autres, que le loup n’a pas, n’en déplaise aux écologistes!
Vilmos Csanyi, spécialiste en psychologie canine de l’Université de Budapest estime que chaque animal a un comportement intelligent dans son environnement naturel, qui lui est propre. Or, l’habitat naturel du chien est celui de l’homme, et non plus celui des loups. Ainsi, le comportement du chien révèle des particularités cognitives que seule la cohabitation avec l’homme, depuis des millénaires, est en mesure d’expliquer.
Le chien manifeste ses capacités quand il peut «dialoguer» avec son maître. Le chien regarde l’homme dans les yeux quand il veut communiquer avec lui, les loups pratiquement jamais, même quand ils ont été élevés par l’être humain depuis plusieurs générations. Il en est de même pour les gestes plutôt complexes que le chien comprend aisément, mais pas le loup. Même les chimpanzés et les gorilles, nos proches parents, ne réussissent aucune des épreuves passées avec succès par le chien (interprétation de signes oculaires ou gestuels). Le chien a profité d’un processus de domestication durant des millénaires, qui ne saurait jamais se reproduire en aussi peu de temps avec le loup.
Le chien a bénéficié d’une relation «parent-enfant» avec l’homme. Il réussit les tests «Strange Situation Tests» que l’on utilise pour mesurer la force du lien unissant le bébé à sa mère: on place la mère et le bébé dans un environnement qui leur est inconnu; puisqu’il est avec sa mère, le bébé ne manifestera pas d’inquiétude. Si la mère le laisse seul, l’enfant va crier; pour le chien, c’est la même chose: quand son maître le laisse, il va aboyer et gratter à la porte.
Avant de faire passer le test «Strange Situation» au chien, on a cru qu’il ne réussirait pas à résoudre les problèmes aussi bien que le loup et qu’il aurait, en quelque sorte, régressé suite à la domestication. Il n’en est rien et le test mentionné ci-dessus l’explique. Com-me le dit Lorenz, le chien a généralement des résultats médiocres durant les tests de laboratoire, car son maître n’est pas présent. Dès que son humain est là pour l’encourager, son score remonte en flèche! Les Hongrois ont également découvert que plus le chien est proche de son maître, plus il est maladroit – il comprend le problème, mais attend que le maître le résolve à sa place! Si le propriétaire encourage le chien, il réussit le test sans aucune difficulté. Le chien, à l’encontre de ce que les comportementalistes pensent, peut se représenter un objet en son absence; en d’autres mots, il est capable d’abstraction. On sait aussi que le chien apprend beaucoup en observant son maître. Ainsi, plus on lit les résultats de tous ces tests, plus on réalise que le chien n’est pas un loup depuis longtemps!

Conclusion

Jusqu’aux travaux de Lorenz, qui le conduisirent à un Prix Nobel de Médecine en 1973 (l’éthologie n’existait pas!), les scientifiques occidentaux estimaient que les animaux n’étaient que des machines à exploiter, cela en accord avec les trois grandes religions du Livre.
Les psychologues, eux, n’avaient qu’une idée en tête: promouvoir la psychologie au rang de science objective (cela n’a pas beaucoup changé) et, pour eux, tout comportement peut être ramené à des relations Stimulus ½ Réponse. Le conditionnement existe, que cela soit chez l’homme ou l’animal: si nous avons faim et sentons l’odeur d’un poulet rôti, nous salivons tout autant que le chien de Pavlov! Mais le comportement ne se résume pas à cela.
Quand on s’occupe d’êtres vivants, il est impossible de faire l’impasse sur les sentiments; la psychanalyse l’a bien compris. L’ont compris également les chercheurs japonais shintoïstes, avec leur «Kyokan» (empathie, compréhension). Quand ils ont découvert que les macaques, qui lavaient des pommes de terre de mère à enfant, avaient une culture, ils ont été taxés «d’anthropomorphisme» par leurs collègues occidentaux, admirateurs de Skinner.
C’est grâce à tous ces pionniers qui n’ont pas eu ou qui n’ont pas peur du ridicule, que la vision du chien «pavlovien» ou «skinnerien» a été remise en cause. Oui, le chien est intelligent, et il a des sentiments! Et nous savons enfin comment le chien réussit à nous faire tourner tous en bourrique!

Frédérique J. Langenheim

Aucun commentaire